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La dernière rose avant l’hiver est rouge cerise.
Dans le verger on a volé des pommes.
Au pied des deux platanes gigantesques et du saule
Huit gros packs de seize bières Heineken
A peine entamés
Entreposées pour l’hiver.
Un geai les a prévenu
Les animaux viennent lentement à nous
Le cheval, le bouc, la chèvre, chacun à sa façon.
Puis le lourd équidé trotte devant le mûrier qui explose dans l’automne.
Tout à l’heure on a croisé un limier très actif de la queue à la truffe.
Le passage des barbelés me met en posture délicate devant l'ongulé.
On ira chercher une tortue au plan d’eau, il parait qu’il y en a.
Elles sont vivantes, préhistoriques et obstinées
Pas du tout découpées en rondelles
Par la tondeuse autoportée.

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Sa main
Quand elle me la donne
Un oiseau me donne la main
Quand elle me la donne

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Scotchés au bout de la nuit dans des draps peau chauds et inamovibles. Au-delà l’aube froide, clinique, impossible, où il faudra bouger. Lutte terrible, quotidienne, célèbre, lorsque sonne le réveil entre ce nous lové et cet autre inatteignable. Lutte perdue d’avance, et pourtant si souvent gagnée. Car finalement en une seconde la mue impossible s’est faite, on a rejeté les draps qui ne sont déjà plus rien, on est assis sur le sommier et déjà debout, déjà prêt, déjà d’attaque pour une vaillante journée déjà gagnée.
Il faudrait Proust pour décrire cette seconde là, cette mue. Ca serait long. Personne ne lirait. Cette seconde de trente pages (plus d’innombrables échos partout ailleurs dans l’Oeuvre) serait perdue dans le temps perdu. D’ailleurs, elle l’est. Car elle y est. Personne ne l’a vue ou ne s’en souvient, mais elle y est. Et c’est finalement en ces quelques lignes qu’elle renaît, certes à peine ébauchée, mais tellement réelle qu’on se demanderait à bon droit si l’écart est si grand entre Proust et moi.

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Brusquement, je me suis levé Proust.

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Chaque jour
Chaque calamité
Fait mieux.
La terre devient trop lente pour le progrès.
Plus de deux millions de personnes
Sont descendues
Dans la rue
Pour accueillir le pape
Dans la plus stricte intimité.
Pour vérifier la solidité des voitures
On les envoie dans le mur.
24 heures pour un jour, c’est devenu bien long.

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Le problème quand on oublie sa montre, c’est qu’on ne sait jamais quand ça prend fin.

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J’ai marché longtemps, bien plus longtemps que la période d’une marée. On ne distinguait déjà plus la terre et j’avançais toujours, l’océan au lieu de revenir s’éloignait encore plus. Etrange… Mais je n’étais pas inquiet. J’avais au début ramassé quelques coques puis, sur des sables jamais découverts jusqu’alors, des bivalves bizarres. Je les avais mis dans mon seau. Une lutte raciale réflexe s’y était installée, muette et féroce. Je me suis arrêté pour observer, me demandant si je devais ou non intervenir. Quand finalement j’ai entendu l’immense rumeur de l’eau silencieuse il était trop tard, l’océan était là, partout autour de moi, avançant vers moi, comme si le point précis où s’était figée ma marche était ce qu’il désirait engloutir le plus au monde, mais aussi en dernier.

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L’essentiel est partout.

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« Elle voulait partir ‘comme une fusée’, aspirée vers Dieu. La religieuse la plus populaire de France est morte dans son sommeil. »

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On voit la paille dans la bouche de Dieu qui aspire, et
Pfuuiiiit !
Plus rien à l’autre bout.

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Je ne peux pas me permettre d’être paranoïaque : mes adversaires en profiteraient pour me dénigrer.

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Et je devrais publier un démenti sur ce blog.

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Il advint qu’une patate qu’ils avaient cuisinée
En prêtant à des pauvres qui ne pouvaient rembourser
Brûla les mains de nos grands argentiers.
Refilons là à d’autres, dit l’un d’eux. Il me vient une idée :
Cessons de prêter. L’argent manquera,
Pour débloquer l’système l’Etat nous en donnera,
Et il prendra en gage nos créances vérolées !
 

Derechef on approuva l’idée. On stoppa le crédit.
En peu de temps l’oseille vint à manquer
Mettant à mal la bourse, et tout ce qui s’en suit.
Les banquiers attendaient en écoutant leur chef :
L’Etat c’est les gens, et les gens sont des poires
Faut que ça dure, le manque de trèfle
Ils en donneront pour en ravoir !

Et en effet il suffisait d’attendre
Sarkoléon finalement dut se rendre :
Il réclama la dame noire
Que lui tendait le scolopendre…

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Au bon roi qu’ils ont choisi
Les bons cons peuvent dire merci
Ils ont en main le mistigri

134

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Parfois, je prends ma vieille montre arrêtée, je vais à Epidaure, et je remonte le temps. Je vous laisse imaginer ce qui se passe alors. Ensuite (dès que je suis reparti) tout redevient comme avant.

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Longtemps, je me suis souillé de bonheur

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- Je sens un bouton, là. Il se voit ? demande-t-elle, désignant à son miroir la commissure de ses lèvres.
- Moi oui, toi non, renvoie-t-il. Mais je n’ai pas de soucis à me faire : moi, on me regarde.
(Sur ce, elle le brise)

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Il avait obtenu
Son parachute doré
Il n’a pas su
En trouver la poignée

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On est entrés dans cette quinzaine magique où tout le monde voit les arbres

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L’oiseau loin traverse le ciel
C’est essentiel

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En temps de crise les gens deviennent plus attentifs aux autres, la hiérarchie des valeurs est réévaluée, et fleurissent ainsi aux bords de mon parcours cycliste d’innombrables panonceaux « A louer » qui montrent que l’effort que je fournis, longtemps perçu comme gratuit et sans objet, est depuis peu reconnu comme ayant une certaine portée.

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Quant à ceux qui panneautent « Vendu » mon passage devant leurs biens, ils se trompent : c’est à titre gracieux que je porte sur mon maillot bigarré les publicités bariolées de l’EURL CARAZ Michel, de la Boucherie « Champ de mars », de la Serrurerie François Fernandez, de Rosti, de Opticien Krys, et surtout de ROUX Jacky électricité.

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« J’ai un groupe de hip hop au pays, mais rien ne m’inspire autant que la probité de mon père »
(Seun Kuti)

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Hier, j’ai fait la sieste dans le pré
Je dormais à moitié
Le ciel était blanc
Je le sentais proche comme une toile de tente
Où par instant la pluie tombe en poignées
C’étaient les arbres, en hauteur
Qui bruissaient.

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Cette fois ci on est dedans. Les tours s’effondrent lentement sur elles mêmes et on est dedans. C’est l’écroulement de la baliverne et on est dedans. Il y a sept ans on n’était pas dedans mais on se sentait avec eux, on était tous américains et on l’est resté quelques jours énormes et hyper violents. Maintenant les tours s’effondrent avec tendresse et on est dedans, on est dedans sans sentir la violence, dedans avec contentement, on est dedans avec assentiment. Et ça nous fait comme une caresse de maman.

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C’est l’écroulement de la baliverne.

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- Mais que faites vous à toujours scribouiller sur la nappe ? Vous vous croyez malin ?
- Je compose. Oui, je compose…
-De… de la musique ?
- Oui. De la musique
- Ah ! Et… Quel genre de musique ?
-Du Mozart. Vous aimez Mozart ? Tout le Mozart publié ces dernières années, c’est moi !

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Pour éviter cette scène déroutante, la jeune personne souvent assise à la table d’à côté se garde bien de lui adresser la parole, et Beethoven compose inlassablement pour elle tout le Mozart de ces dernières années.

127

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Je suis resté à la maison ce matin, pour pleinement profiter de cet excellent roman que ma fatigue du soir m’empêchait de vraiment apprécier. J’ai téléphoné à l’usine.
- Quel livre ?
Je leur ai donné le titre du livre. Ils m’ont dit de continuer tranquille, qu’ils allaient s’arranger jusqu’à ce que je sois à nouveau disponible.

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Crise financière, économique, sociale, politique, morale, environnementale, alimentaire. Si la scène du livre avait pu avoir lieu, vivrait-on aujourd’hui la crise du tout ?

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Chaque fois que je remarque une femme je me dis
- Comment était-elle, à l’école primaire ?
Et je me garde bien de répondre.
Comment était elle au CP ?
Etait-elle déjà là ?
Et moi ?
Non
On
L


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Savoir ce qu’elles nous trouvent…
Encore faudrait-il qu’elles nous trouvent !

125

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L’univers où Dabek s’active avec d’autres hamsters est à part les cages totalement fait d’angles. Lui qui rêve de s’arrondir autour d’un poêle n’arrive pas en ce lieu aigu à trouver une place imaginaire où installer le Godin. Mais cela n’a rien d’essentiel : il s’active, il sue, et il a chaud, et c’est ainsi que la roue tourne.

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Cette usine actionnée par les roues des hamsters ne fabrique rien d’autre au fond que ces même hamsters qui actionnent les roues, et le mystère est que ce rendement net nul est celui d’un système consommant énormément d’énergie avec une efficacité prodigieuse.

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Les gens autour de moi
Bien disposés dans le temps présent
Me regardent bizarrement.
Ce qu’ils regardent n’est pas là
C’est une forme qui n’habite nulle part
Un ailleurs, une fort d’art
Une échappée de la maison du moi
Qui rebondit et qui titube
Qui se balade puis s’évapore

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Une fois chassés les morts manquent encore

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Me revoilà scotché au restaurant le Thabor, je pense au mont éponyme du même nom ou je connus ma dernière expérience en refuge : après avoir médité Gandhi toute la nuit, pour avoir droit à un peu d’air je dus boxer un sexagénaire au nez spongieux.

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Puisqu’il existe en Mont et en Restaurant je propose, je stipule aussi le Nez, et l’on saura désormais du Nez Thabor qu’il est mou et depuis quelques temps épaté.

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Sauf s’ils ont oublié de prévenir l’auteur, mon manuscrit n’a pas été lauréat du Prix Jean Follain 2008. S’il l’avait été, j’aurais été sincèrement déçu pour les huit autres auteurs de la sélection finale.
Et là je ne le suis pas pour les sept.
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Avais-je au moins laissé mon adresse ? Un téléphone ? Un portable ? Un mèl ? Mes coordonnées GPS ? Le code d’accès à mon agenda partagé Outlook ? Un mégaphone à portée interdépartementale ? Est-il possible que mon talent soit une nouvelle fois victime de mon inconséquence ?
Et,
l’organisateur ? A-t-il vraiment fait tout ce qu’il fallait pour tenter de me joindre, avant de se résigner à passer au second ? Est-ce là un comportement digne de la vie et l’œuvre de Jean Follain, poète majeur de la Manche ?
Et,
pourrait-on écrire un roman uniquement constitué de questions ?
Perec ne l’a-t-il pas fait ?