285

La neige tombe
Des fragments par millions
Forment muettement
Le tout blanc

*
Le mépris crée sans cesse
De nouvelles espèces

284

*
Pour fixer des choses légères, comme des feuilles et des fleurs, sur un support un peu dur, pensez aux épines qui remplaceront avantageusement clous et punaises. Les longues épines, comme celles du pin, serviront elles d’aiguilles avec lesquelles vous attacherez ensemble les fleurs et les feuilles. Prenez l’habitude d’en ramasser régulièrement et de les conserver dans une petite boîte, histoire d’en avoir toujours sur vous.

*
Elle ouvre parfois et ferme les cils
Geste d’oiseau d’autrefois
Noir est l’iris du fusil
Qui sans fracas sonne mon glas

283

*
Trouvé entre les pages d’un recueil auquel il rajoute son opus végétal, ce trèfle à quatre feuilles apparaît, arbre immense et africain, comme dessiné à côté du poème qu’il habille. Sa quatrième feuille (comment la reconnaître ?) s’arrondit deux fois comme le fuselage horizontal d’un boeing.

*
Bonheur à tiroir. Bonheur de l’avoir trouvé, bonheur plus profond encore de comprendre qu’une telle trouvaille se produit plus souvent en errance bibliophile qu’en équipée botaniste.

282

*
Montagne, solitude, refuge d’hiver en octobre. Il a fait très beau. La nuit tombe très tôt, le froid est là. Pas de bougie. A sept heures du soir je me couche pour une nuit de sommeil profond qui demain, quand je me réveillerai, aura duré quatorze heures. Je ferai ma toilette glaciale dans un ru et une lumière d’or. Puis, par bonds successifs dafgns les pierrjhgjiers qui coulissent je rejoindrai le seqntier mille mètres plus bas.

*
A cause du chaton ça devient de plus en plus comjhvpliq&ué d’écdqrire même ces histdsoires courtes, il travhgerse sans cesse le clazyuopvier et s’obstine maintenant à enlkoyer mon crayochgn par ter

281

*
L’homme qui en vain court toujours après lui sous la pluie au matin blême sans parapluie sur les pavés glissants est heureux chaque fois de constater que l’AUTOBUS ne l’a pas attendu pour l’emmener à un travail qui ne l’aime pas.

*
1989 je me souviens
Ourson sur le chemin
Peluche entre l’Est et l’Ouest
Oubliée en chemin

280

*
Je l’ai acheté tout petit, minuscule
Je l’ai beaucoup joué
Arrosé de notes et d’amour
Amour pour ses touches d’ivoire ses tendons d’acier sa pédale douce et sa façon si juste de rendre la main gauche de Chopin.
Et le piano, grande queue
A grandi jusqu’à devenir adulte.
C’est là, aujourd’hui, autour de lui, que je vis.

*
Je le montre à l’huissier. Qu’importe l’huisserie lui dis-je, qu’importent les murs et l’escalier, je vous aiderai à démolir tout cela, à deux on s’aidera le piano passera. Le type a pris cet air ennuyé que j’adore et que prennent tous les huissiers qui s’apprêtent à payer mon loyer. 

279

*
On prend auprès de moi des nouvelles de moi comme si c’était quelqu’un d’autre que moi.

*
Dans une tentative désespérée (mais réussie à ce jour), Mamie de Ronquerolles et Mamie de Corenc sont très tardivement devenues de Pontcharra et de Sirod.

278

*
Le Proust en 75 pages, pas une de plus. Atteindre le Graal du miniaturiste, écrire « A la recherche du temps raccourci », Dabek l’a fait !  Il est fou de joie !

*
C’est alors qu’entre dans la pièce Odette de Crecy au retour de sa promenade en bicyclette sur la plage de Balbec…

277




*
Faut-il construire des minarets en territoire helvétique ? Il est un pays où cette votation s’organise. En un autre, j’avais il y a dix ans sauvé par le verbe deux bancs fréquentés par des jeunes « étrangers au lotissement ». D’autres jeunes pareillement allogènes étant revenus s’asseoir ces temps ci, une votation fut organisée sous couvert de laquelle la mairie de Glay a la semaine dernière courageusement déconstruit les bancs.


*
Pour une fois je joins une photo. Elle me fait penser à Nietzsche, les vraies valeurs sont celles qui résistent à un coup de marteau, au saxophone sans doute Zarathoustra préférait-il le piano.

276

*
Au royaume des seringueros
(Manaus)
L’homme caoutchouc
Ne vaut pas un clou

*
Dans cette histoire de mèche qu’on aurait vendue, on ne parle jamais assez de l’acheteur.

275

Je l’ai tellement aimé que j’ai mal à en crever. Camus. Mon Camus, L’immense Camus. Coucher avec Victor Hugo !

*
Quand on voit ce qu’est devenu son iceberg, on se rend compte qu’on avait beaucoup exagéré la taille du Titanic.

274

*
Le discours du « consommer moins » pourrait n’être qu’une tentative de la classe dominante, vieillissante, pour transformer aux yeux de tous et aux siens propres une contingence déprimante en engagement vertueux. Car on ne consomme jamais, au fond, que de l’énergie.

*
Trente cinq ans déjà c’est son âge désormais chaque jour vers quinze heures après le feuilleton un peu plus lourde qu’alors un peu plus flasque elle vient s’asseoir en sirène au pied du canapé sur l’assise faire reposer ses bras et y mettre sa tête comme dans un giron elle vient là se ressourcer se lover dans sa tristesse d’alors sa tristesse adolescente sans objet cela dure un quart d’heure puis elle se relève et repart vers son activité quotidienne où le malheur par contre est causé.

273

*
Ce type qui a exactement la prestance de Tino Rossi, qui a la voix de Tino Rossi, qui a tout ce qui faisait le talent et le succès de Tino, ce type qui très probablement s’appelle Tino Rossi (je préfère ne pas le lui demander pour ne pas rajouter au tragique de la situation), ce type est aujourd’hui, hautain et négligé, serveur dans un restaurant de milieu de gamme. Il s’en est fallu de quelques décennies, un rien.

*
L’insomnie est le sommeil du juste

272

*
Le problème, le problème
Ni les yeux bleus qui mettent en slip
Ni le nom en « non » (et même en « nnon »)
Ni la bouche pincée
Il est pas là la problème
Le problème c’est qu’elle a raison.

*
Elle m’a regardé avec ses yeux et sans ouvrir la bouche sans proférer une parole
Elle a dit
J’parle pas aux cons

271

*
Quand on s’arrête dans le désert, il ne dure jamais bien longtemps. Bientôt pas tout à fait une foule, mais enfin un nombre considérable de gens eu égard à ce qui paraissait se presse autour du véhicule en panne. L’un d’eux au moins est mécanicien, bien sûr. Il ouvre le capot. Trouve dans le compartiment moteur lui-même (quelques longueurs d’une espèce de fil métallique épais reliant ceci à cela) de quoi réparer la panne (boulon porteur cassé). N’a pas besoin d’expliquer que c’est cela le désert, tout est forcément là.

*
Ayant fait extraire une dent superflue (sagesse), Dabek (re)découvre la Joie.

270

Aux temps érectiles, la perspective de sa mort rendait Dabek triste de savoir qu’il abandonnerait un jour un monde merveilleux et magique. Maintenant il n’est plus triste : il a peur.  Il quittera un monde sans joie ni jardins, où la découverte inattendue en promenade des traces d’un râteau dans une allée de graviers fins sera devenue inimaginable.

*
De même quelques dames sublimes qui y auraient été longuement décrites vivent en notre temps, qui n’y sont pas, mais à quelques décennies près auraient été dans le Proust.

269

*
Bébé Ogino et alors ? Est-ce une raison pour te mettre dans un état pareil ?  Dans toutes ces familles d’avant la pilule, à partir du quatrième tout le monde était Ogino. Tu étais un numéro 5 j’étais un 4, on est issus de deux bébés non désirés ce n’est pas un drame et maintenant il est deux heures du mat on dort, OK ?

*
Dans le reste de nuit qui suit en rêve Dabek pousse un cri terrible. Dès le réveil il se lève, prend une cravate puis deux puis dix  et en un tour de main à l’âge de trente sept ans fait son premier puis son second puis jusqu’à dix nœuds de cravate : jamais auparavant il n’avait pu en faire un seul.

268

*
En 2006, Alain Manoukian vient de vendre sa société au groupe contrôlé par le milliardaire Max Azria, mais se rend encore régulièrement dans ses locaux de Mercurol. Le 31 juillet de la même année, des salariés de Mercurol sont en grève lorsque M. Manoukian sort du domaine au volant de sa voiture. Un des salariés reproche alors au chef d’entreprise drômois de l’avoir volontairement renversé et blessé en accélérant avec sa voiture. Une accusation à laquelle même le procureur de la République n’a pas apporté son soutien, demandant la relaxe de l’homme d’affaire. Hier le tribunal correctionnel de Valence a prononcé la relaxe d’Alain Manoukian, considérant qu’il n’avait jamais eu la volonté de renverser qui que ce soit.

*
Aucun sous-entendu, aucune ironie, rien de caché entre les lignes, rien que des faits, rien que du neutre. Mais alors comment ce journaliste du Dauphiné Libéré fait-il pour écrire exactement l’inverse de ce qu’il écrit ? 

267

*
Vos jupons sur l’herbe tu les as laissés froissés. A l’ombre fraîche de la pierre chaude vos jupons à l’orée. Je t’avais rencontrée sous la futaie, vous étiez immobile onduleuse en apnée, j’ai pensé à une algue accrochée au rocher que l’onde fait danser.

*
L’amour, c’est l’impossibilité d’autre chose

266

*
On le surnomme double zéro deux, parfois même double zéro deux Seine. Il s’appelle Jean comme mon fils, Dabeuliou comme un souvenir d’enfance, il a raté son droit comme n’importe quel fils de famille, et son papa est président. Doit-on le pénaliser pour une ascendance qu’il n’a pas choisie ? En tout cas plus on l’attaque, plus il comprend pourquoi il faut aménager la Défense.

*
Soyons simplement patients, et le présent sera retourné aux ruines

265

*
Fatima avait la voix douce et grave, on comprenait…
Ils ont tous tellement d’égards pour elle, tellement…
Gregorius n’avait pas entendu le zézaiement, disparu…
Quand elle le précéda au rez-de-chaussée, son pas…
Trente et un ans auparavant, Prado…
Nous n’avons presque plus de morphine, murmura pour…
C’était au début de l’après midi, une chaleur…
Quand je lui tendis la seringue, nos regards…
Quand il apparut sur le seuil, les cris…
S’il n’y avait eu qu’un seul crachat, il aurait…
Les coups se firent plus faibles et plus lents, l’émotion….
L’auteur avait trouvé son rythme, le lecteur…

*
Finit par poser le livre et se coucha longtemps de bonne heure

264

*
L’âtre est célibataire
Suspendus le pardessus fume le saucisson se dessique
La vieille charpente noire craque
Dans un coin sombre un lit cabine d’acajou aux reflets roux
Ce sera une bonne nuit
Une de plus c'est-à-dire : tu dors
La brique est chaude sous l’édredon humide
Tu te lèveras dans l’aube froide
La cendre sera tiède il restera de la braise
Avec le papier de la brique tu souffleras une flamme claire
Le feu tu y fais le café et tu le bois bien trop chaud c’est bon
Tu prendras ton fusil tes cartouches
Le pardessus
Tu sortiras

*
Dehors immédiatement
Tout est différent

263

*
Pour obtenir un numéro administratif elle appelle le standard du rectorat, qui ne répond pas. Elle trouve le numéro de la DEX (Direction des examens), qui la renvoie vers la DEP (Direction de l’enseignement privé) qui l’oriente vers la DAET (Délégation académique aux enseignements techniques) qui l’aiguille vers la DPM. La DPM (Division prospective et moyens) a comme son nom l’indique activé le transfert d’appels vers le DS (Département des statistiques), et elle comprend que c’est le bon numéro car il ne répond pas.

*
En outre, ne te découvre pas d’un fil

262

*
La punaise est sur le dos, sur le tableau de bord. Je roule sur l’autoroute. Mon regard qui devrait porter loin focalise sur l’insecte. Comme à l’aller ce matin et sans plus de succès il essaie obstinément de se retourner en se servant du relief de la planche de bord et des micromouvements de roulis. Il profite d’une manœuvre brutale de ma part - visant à éviter un véhicule parti en tonneaux - pour se rétablir enfin. Je m’arrête sur la bande d’arrêt d’urgence, je le remets sur le dos à l’aide de mon ticket de péage, et j’appelle les secours.

*
Le premier passager payant du premier métro trouva sans doute que c’était vraiment pas cher pour ce que c’était.

261

*
Sur la feuille blanche d’une planche de peuplier mise à sécher pour lui depuis plus de vingt ans, le peintre a dessiné la Joconde. Puis il l’a peinte. Puis il est passé derrière elle amusée, a emprunté le petit chemin jusqu’au petit pont à l’arrière plan ; il a alors attendu le bon moment pendant un long moment et, juste à l’instant où sa surface allait définitivement se figer il a – plouf- laissé tomber dans l’eau noire de la rivière une grosse boule de pâte de peinture noire au plomb.

*
Depuis s’ouvrent chaque jour à intervalle régulier toutes les portes fermées sur l’ascenseur très doux d’une écluse de gens qui montent vers cette femme immobile aux formes de lait

260

*
Ayant encore perdu dimanche soir à la roulette russe, il regagne dès lundi matin son bureau à France Télécom

*
Au restaurant « Le familial » je félicite la patronne sur ses filles qui sont si belles aux cheveux noirs et ont ses pommettes rondes comme leurs épaules ce ne sont pas mes filles dit-elle juste mes belle filles (AH BON ?) mais ce sont aussi mes nièces (IL ME SEMBLAIT BIEN !)

259

*
Les gens heureux
Ne sont pas contagieux

*
Fièvre de type A --> grippe A
Virus volatile --> grippe aviaire
La fièvre vous pousse à fourailler du groin dans le jardin --> grippe porcine
Etats fébriles non prévus dans cette liste --> nous consulter

258

*
On dit souvent de lui : « son humour n’est pas circoncis à l’humour juif »

*
Rien à voir avec ce qui précède, mais Dabek n’aime pas être masochiste : non seulement c’est douloureux prétend-il, mais en plus ça fait horriblement mal.

257

*
Avant même de commencer voici une ligne
De telle sorte que je n’ai déjà plus le temps de vous dire
A quel point je méprise l’auteur de ce sujet
Fabriqué pour obtenir les réponses formatées
Qui tuent la langue qui tuent le plaisir et toute littérature
Et sur ce je vous laisse juge asservi à l’Académie
Et je vous dis : faux frère de lutte, Adieu !

*
Aurélien
A écrit 7 lignes au bac de Français
Et a obtenu 1 sur 20
Bien noté mal payé

256



*

Moi j’ai suivi les leçons de chose quand j’étais petite, et j’en ai de beaux restes. Je suis mariée à un homme qui confond les boutons d’or et les pissenlits, je suis mariée avec un homme qui confond tout !
- C’est pour ça qu’on est mariés.


*
La vie apparemment
Va continuer sans moi
C’est un truc hallucinant
Que je savais déjà.

255

*
Non seulement on a pu prouver que l’intuition fondamentale d’Einstein (la courbure de l’espace temps) était vraie, mais en plus que s’y applique la force de Coriolis.

*
Le pressentiment de Jacques Réda (le progrès est une chose formidable, mais il aurait fallu s’arrêter à l’invention du Vélosolex) semble également se confirmer.

254



*

La Chine le fit, le Maroc l’a fait, murer le désert c’est ce que nous faisons tous retranchés dans la forteresse du désert des Tartares et attendant Godot.


*
Les maçons qui construisent les maisons des colons israéliens dans les territoires occupés sont très souvent palestiniens.

253

*
« L’autre est le soleil », petite médecine glissée sous la langue du poète

*
Lire était donc quelque chose d’important, bien plus qu’écrire avec de l'encre

252

*
Le vieux monsieur est implicite
Il lui prête un appartement
Elle garde ses bas et il la bite
Sans jamais enlever ses gants

*
Pour votre santé, lavez vous les mains au moins cinq fruits et légumes par jour

251

*
Petit à petit
Heure après heure
La journée se nourrit
De choses qui meurent

*
Un mur : je perds mes pierres.

250

*
Comment font-ils
Petite voile blanche
Les voiliers lointains
Pour être toujours
A l’horizon ?

*
De temps à autre, on voit apparaître quelqu’un de normal

249

*
Jour après jour il écrit
Pour se rapprocher
Elle s’éloigne de nuit
Elle s’éloigne de lui
Par l’oreiller
La vérité

*
Il serre sa chérie la nuit pour qu’elle le serve le jour
C’est l’amour

248

*
Dabek traverse la pampa en biais. Arrivé au pueblo il épouse une fillette au corps déjà de femme qui joue encore au pistolet à eau. Ensemble ils regardent à la télé des séries américaines doublées en un espagnol très pur. Finalement il offre à la fillette un fusil et repart en biais. Un chien qui ne lui appartient pas le suit sur sa droite. Un coup de feu, le chien s’écroule, Dabek fait demi tour en biais.

*
Tous les jours se ressemblent et diffèrent cependant par d’infimes variations de leurs dimensions ; ne survivent finalement dans notre mémoire que ceux qui avaient un diamètre ou une largeur un peu plus grands que celui des trous de son crible.

247

*
Dans et par le rocher se figent l’espace et le temps
S’y installe le stylite
S’y fixe
Folâtre immobile
Echancre l’échancrure
Autour voit la beauté virale
Respire et agrandit
Grandit dehors, grandit dedans, grandit aux marges

*
Quand je suis revenu c’était le mont Mézenc. Il portait aux versants la lave et la rosée. L’air était bon.


246

*
Loin loin loin du travail ils se retrouvent en cohortes serrées et largement dénudées allongés sur un sol stérile (sable, galets) devant l’agitation vaine d’une autre monade (mer, océan) sur laquelle rien ne poussera jamais que quelques furtifs ailerons dont la pensée qu’il puisse y en avoir quelques uns ici (requins, dauphins mais pas certain) cependant les arrête.

*
Sans parler des méduses. On rentre ?

245

*
La vie la mort sont un peu rudes - l’homme les durcit
La pierre est là
Chaque jour se lève le jour - le barbare le couche
La pierre est là
Les ennemis se mordillent les doigts s’aiment et s’entretuent
Le temps est long le ciel est vide les feuilles tombent
La pierre est là et ne voit pas
Le monde est fort la foule est triste
La pierre est là
Elle est debout elle ne voit pas
Carnac la nuit la pierre est là
Carnac la nuit les yeux fermés garçons et filles
On y danse on y danse
Carnac la nuit la mer est là aussi qui gronde non loin
Les gouttes grosses y font des bouquets de plomb
La pierre est là

*
Je m’intéresse au fleuve, à la barbarie, à la physique atomique du temps, à la nuit. J’aime je le redis ces cathédrales aux ogives très hautes d’où fientent les oiseaux.


244

*
RrRRRRRRRRRRRRRRRRRrrrRRRRRRRRRRRRRRRRRrRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR
RRRRRRrrrrrrrrrrrrrrRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRrRRRRRRRRRRRRRR
RRrrrrrrrRRRRRRRRrrRRRRRRRRRRRRRrRRRRRRRRRRRRRRRrRRRRR
RRRRrrrrRRRRRRrrRRRrrRRRRrRRRRRRrRRRRRrRRRRRRRRR
RRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRrrrrrrRRRRRRR
RRRRRRRRRRRRRRRRRrrrrRRRRRRRRRRRRRR

*
Extrait de « AZERTyUIOP », chapitre 4 (à paraître)

243

*
Antoine sur le port près de son vieux rafiot rafistolé au milieu des yachts immaculés
Antoine se signe à chaque pas
Antoine voit en aura la couleur des êtres
Antoine voit la sienne autour de ses doigts qu’il écarte au bout de ses bras
Antoine a vu en moi un ange
Aux êtres comme moi dit-il Il suffit
De légèrement plisser les yeux
Pour voir ce que d’autres ne voient pas
Je vois la lumière qui s’échappe de ses mains de ses doigts
Et je ne sais pas ce que c’est que cette couleur là
La couleur d’Antoine

*
J’ouvre il n’est plus là

242

*
Refermant trop brusquement cette vieille bible hébraïque dont je croyais les gonds moins huilés, j’expulse les millions de signes qui y reposaient dans un ordre voulu et qui flottent maintenant dans l’air, poussière, poussière retournant à la poussière sans avoir fait grand-chose entre temps.

*
Cela m’allège. J’aime les cathédrales écroulées, oubliées. J’aime ce qu’il en reste et que j’imagine. Je voudrais croire que c’est chaque fois une hêtraie. Je vois des hommes s’y réunir entre les blocs de pierre. Un chuchotis de prières extasiées monte depuis les sombres capuches basses vers les ogives fayardes et s’échappe ensuite plus haut, traduit en oiseau, vers le ciel et un espoir absent. On n’a besoin de rien d’autre.

241

*
En silhouette simple
Elle parle à l’eau de son puits

*
« J’aime bien votre gamberge »

240

*
Thomas a raison : tu devrais cracher, et tu acceptes. Te lever et partir, et tu souris. Te mettre dehors, et c’est l’autre que tu ou qui te. Faire valdinguer le fatras, et tu plies des trombones. Tu devrais être chat et tu hais l’insecte. Thomas a raison tu devrais dessiner dans les marges et tu t’exécutes, tu devrais germer et tu modernises. Tu devrais rester immobile et ne plus rien faire, au bout d’un temps je partirais et tu resterais. Tu devrais le savoir et tu le sais ; mais il ne suffit pas de savoir ni de réfléchir, il faut aussi être prêt.

*
Je ne connais pas ce type qui me tutoie et me harangue en son miroir

239

*
Certains mots n’en ont pas l’air au premier abord, et pourtant ils le sont. Par exemple : laconique.

*
D’autres, l’inverse : ordre ; abus.

238

*
Quand il se sent mal, un quart d’heure trottoir à humer les odeurs d’une rôtisserie à roulettes suffit à le requinquer. Plus l’huile dégouline des peaux qui suintent et se craquèlent, plus il sent sa profonde légèreté intrinsèque remonter à sa surface et croustiller à la face des poulets, et plus il se sent vivant et libre dans son monde sans ergots.

*
D’autres fois il téléphone loin, New York, Sydney, Montevideo, New Delhi, Pekin, toujours aux ambassades, pour sentir combien les secondes sont chères. Il ne parle pas ; l’autre, diplomatique, finit pourtant par raccrocher. Le cœur battant la chamade, il se retrouve alors en dette de temps comme un cycliste au paroxysme se retrouve brusquement décroché dans un col, en dette d’oxygène. Une dette qu’il ne pourra jamais rembourser, jusqu’au moment final où ces secondes là, qu’il vient de vivre pleinement, lui feront définitivement défaut.

237

*
40 ans après le premier pas sur la lune, l’autopsie a confirmé que - ce n'étaient pas des météorites - le danseur-chorégraphe hip hop était criblé de dettes.

*

Il leur trouva un adversaire :
Vaillamment elles luttèrent

236

*
Inconnue, il devine sa silhouette simple, son teint de pluie, ses chevilles.
-Quel effet cela fait-il d’être prise pour une autre ?
A l’autre bout du fil, elle rougit sous le compliment.
Ils raccrochent tout doucement

*
Derrière son gros ceinturon clouté, la fillette prépare la place de l’enfant.

235

*
Il était une fois où les mots
Se mirent très rapidement d’accord
Pour en rester là.

*
Une autre fois fut l’homme
L’homme aux lentes barbaries
Qui avait été l’enfant aux grands cils
L’enfant aux longues nuits pour rêver
L’homme qui essuie le trop d’alcool d’un revers de main aux yeux rouges
L’enfant qui s’émerveille dans la clairière
L’homme qui mord
L’homme qui pénètre
L’homme qui est l’enfant d’une femme
L’enfant qui va trop vite l’enfant qui va trop fort
L’homme qui essaie de rejeter les draps de son lit de mort car déjà il la voit
L’enfant léger de toute la joie du monde
L’homme qui construit la route et barre le chemin
L’homme qui façonne et qui salit les plaines
L’enfant est mort
Une autre fois fut l’homme
Qui riait tristement

234

*
« Engin moteur équipé de deux lanternes de queue », annonce en majuscules à son extrémité 2 cette locomotive BB 88500 grande cabine immatriculée 25625 à la surface frontale constellée (constellation, mot plus long, mot plus joli que galaxie) de moustiques écrasés. A l’aplomb de ladite surface, une canette alu vide est échouée sur le ballast, collée au rail. Normalement aucun danger que les roues énormes ne l’écrasent mais qui, canette, s’y risquerait ? Finalement le train part tout entier dans l’autre sens.

*
Toute la nuit, je me suis fait sucer par un moustique

233

*
Première rencontre nous avons parlé des éoliennes du col du grand bœuf, de leur bruit de soie froissée, de leur présence d’œuvre d’art. Cela n’a pas suffit. Je m’en veux un peu.

*
Note, tu as peut-être eu raison : en biologie, une cellule qui ne se suicide pas est anormale. Elle deviendra cancéreuse.