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Hommes faits
Mégères à l’étage du dessus ou bien tenant la caisse du magasin
L’un boucher l’autre est boulanger
L’un en sueurs farinées l’autre en tablier rouge
Il se regardent d’amour sur le trottoir d’en face.
On est en 1950, par là
Les gens jasent jaune dans le petit village
Les épouses encaissent.
Le dimanche ils vont pêcher ensemble en tandem dans les plis de l’Oise
Lui devant lui derrière
Pédaler tâter le goujon
Parfois s’isoler derrière un bosquet d’aulne
Les épouses sont seules à la messe et le sermon à double fond.


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La roue avant éclate dans la descente de Saint Leu
Il y avait du verre
Lui trop lourd devant lui trop fluet derrière
Des freins insuffisants
Il y a eu un bel enterrement et un bon soulagement
Les deux veuves
Ont fait réparer le bicycle
Ont mis de gros pneus ballons
Et s’en vont pêcher le dimanche au bosquet
Dans le soleil devant les rayons qui brillent

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Une énorme duchesse gémit, lutte et chante. Avachie dans son lit elle chante qu’elle aime ceux et celles qui l’aiment dans son énorme lit, refrain elle fait des pieds des lèvres et des mains, couplet de ses mains armoiriées elle offre et cache ses seins telluriques aux tétons aréolés du suc de nombreuses victoires, couplet sa chemise de nuit a pu servir de tente à de nombreuses grandes personnes, couplet interrompu le lit s’écroule avec un cri de col du fémur qui casse, les domestiques viennent la relèvent la rallongent la rajustent, elle dort elle ronfle en murmurant des mots gallois.

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Couchés au pied du lit des bouteilles de Bourbon vides aux goulots lubriques et un Yorkshire en tricot.


-pause estivale-




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Nous sommes quelques uns, comme cela, à marcher toute la nuit dans la ville, à l’autre bout d’une corde que plus personne ne tend. On ne s’aperçoit pas. On ne se croise pas. L’écho de nos pas perdus résonne pour nous seuls sur les murs des maisons. 
Chacun se reconnaîtra. 
A quatre heures du matin, les rues du seizième font penser au fond froid des péniches. Puis l’aube vient. Les étoiles tombent et s’y noient. Moment de rejoindre les draps. Les moteurs qui s’éveillent ne font pas le même bruit pour celui qui s’endort. Sommeil froid.

*
C’est difficile de dire pourquoi on est triste.