448

Montée par de grands escaliers de pierres blanches
Une femme réfugiée au musée
       Regarde des toiles italiennes

Montée par de grands escaliers de pierres blanches
Une femme aux épaules secouées
       Regarde des toiles italiennes

Montée par de grands escaliers de pierres blanches
Une femme aux yeux mouillés
       Regarde des toiles italiennes

Montée par de grands escaliers de pierres usées
Une femme aux lèvres blanches
       Regarde des toiles italiennes

*

Le musée va fermer
Une femme aux traits redessinées
Descend de grands escaliers aux marches blanches
Vers le Paris des beaux quartiers
       Loin des toiles italiennes



[D'après "Un orage au musée", de Jean Follain]

447

Ils rentraient boire un chocolat chaud
On leur donnait des bisous
On s'étonnait de leur trouver les joues si fraîches
Puis ils couraient au jardin.

*
On se rend d'une maison à l'autre en passant par les jardins, en se protégeant du parfum presque brutal des fleurs. Quand on en voit un on effleure le militaire du bout des doigts. On a attendu qu'il se soit endormi. Son visage est tiède, ses lèvres et ses paupières sont tièdes, tout le militaire est tiède.

446

Sur la tapisserie
Les oiseaux migrateurs
Chaque fois que j'ai besoin de les regarder
S'éloignent.
Il y a sans doute
A l'horizon du mur
Une porte condamnée
Qu'ils sauront ouvrir.

*
Courant d'air
 De leurs ailes
A la fréquence 
D'un cœur

445

On a détruit un banc et construit un arrêt de bus qui est devenu tout autre chose qu'un arrêt de bus. Sans cesse s'y retrouvent des personnes âgées assises, qui se lèvent de temps à autre pour aller arroser les fleurs en pots qu'elles ont peu à peu incorporées à leur univers de vie. Le chauffeur de bus brûle l'arrêt depuis longtemps, il contourne les pots et fait au passage un petit signe amical.

*
Quand son humeur de ce moment là n'est plus en phase avec celle des fleurs, Dabek gare le bus et descend se baigner dans la mer. Il nage le temps qu'il faut.

444

Les rares oiseaux qui n'ont pas migré volent bas dans le ciel. Dabek fait le nœud qui devra soutenir le faible poids de son corps et le lier quelques heures à l'arbre. Puis il se souvient de sa silhouette affaissée pendue à l'arbre et du remord trop tardif qu'il en concevra. 
Comme si tout cela n'avait été qu'un jeu il défait le nœud et, s'éloignant, remercie l'arbre de sa bienveillante prescience.

*
Ou bien, au contraire, pour son quatre vingtième anniversaire on lui a offert autant de ballons noirs gonflés à l'hélium avec un mot attaché à chaque cheville et aux roues de sa chaise pour qui le ou la retrouvera.

443

La ville que je connais est celle que je parcours à pied. Ville d'hiver, ville d'été, elle a la forme de mes déambulations. Hier je me suis enfoncé dans les vieux quartiers oubliés et je n'en suis ressorti qu'aujourd'hui, tellement la ville hier était prodigue et avaricieuse aujourd'hui.

*
Quand je prends l'autobus la ville n'existe pas, je me demande bien où sont les gens que je vois sur les trottoirs, derrière la vitre qui vibre. Je me dis que si seulement je cessais d'être lâche je serais comme eux et alors je saurais. Mon père vit dit-on dans la même ville que moi. Lui aussi prend l'autobus. Voilà pourquoi.

442

Ça
Change
Ça change
Ça change progressivement
Ça change de plus en plus vite
Tac
Tac                            Tac
Tac                   Tac              Tac           Tac
Tac      Tac     Tac    Tac
Tac  Tac  Tac TacTac
TacTacTacTacTac

*
C'est l'homme immobile