328

C’est alors, disait Boris Vian, qu’il se mit à ressembler à Boris Vian au point d’en prendre le nom

*
Dabek, l’inverse
Dabek n’a pas toujours de nom
Dabek n’a jamais le même visage
Parfois trop tôt cueilli sur l’arbre, trop lisse, couleurs mort-nées, amertume sous la peau épaisse et dure comme celle d’un galet
Parfois eau croupie au fond d’un seau de maçon resté là, moisissure poilue en surface, moirures, début de vie grouillante sans doute en dessous, qui éloigne
Parfois tout en oeils, le regard ayant en bouclier pour ainsi dire projeté les yeux à distance, et qui dirait alors ce qui s’avance derrière l’écu ?
Parfois forme informe soumise au vent qui vise à l’emporter, résistant en roseau à cet emportement, sauf le nez affûté en brise-bise
Parfois jus qu’on retient les mains jointes après l’incendie et l’inondation de la maison
Parfois c’est simplement de l’air, de l’air évasif posé là en transparence de lui-même, et il faut alors qu’une araignée en profite pour qu’on devine en lui l’auteur et l’œuvre de sa toile
Parfois simple goulot, goulot pour toutes les fonctions, ouïr, humer, proférer, suçoter, filtrer, goutter, capturer la lumière des choses, visage intégralement goulot jamais au repos et qui vous fait d’instinct chercher par terre une capsule
Souvent son visage lui semble être le miroir où il regarde son visage
Et une fois, une seule fois, un instant à peine et clic, photo, la seule photo que l’on connaisse de lui
Et qui ressemble à un cri


327

M’abandonner c’est le seul moyen qu’elle avait trouvé pour, elle, ne pas se sentir trop mal. Me mettre loin. Elle avait remis à mon ange gardien toutes les images qu’elle avait gardées de moi, l’image contamine. De moi elle attendait désormais le silence visuel et la distance infranchissable qu’il lui faudrait pour m’aimer.

*
Ca ne m’a pas empêché de vivre, mais ça a arrêté le temps. Je suis resté un petit enfant, petit ruisseau qui coule dans le temps arrêté sans espoir d’embouchure.

326

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Premier rendez-vous avec elle
C’est une longue coulée de gamins
Prévoir le côté visuel
Entre les seins

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Césure de l’exil en son milieu, cette ville est une île
Mer invisible de gestes et d’orgueils, accostage
Du haut des normes internationales mener l’enquête
Son premier mouvement est pour les enfants
Convoitise qu’appellent les cris, s’activer sur une sœur
Collection de clochettes de chèvres dévorées par les loups
Puis ceci est un hold-up cagoulés dans une banque
Les sirènes de la police pour partie ont un rythme bancal
Poêlée menottée dans la cage à pneus
Murmure de l’œil d’une seringue
Planète des singes, ne plus respirer

325

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Voilà que je rattrape toutes ces choses que j’avais remises à plus tard ?

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De loin se font face un homme et un arc
Il y a une fille
Sifflement
Le trait transperce l’espace
La flamme de l’amour s’accroche à l’air devenu rare
Titube, vacille, s’éteint
Cire rouge sur le sol et qui déjà durcit
La fille va à l’archer

324

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Trois grands poèmes lents et sombres et qui se ressemblaient croisaient silencieusement comme des orques oubliées sous la surface triste de cette matinée d’avant l’été. Ils sont un à un venus émerger à la surface, épaulards, respirer. Et ils ont replongé.

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Les guêpes me butinent. Je croyais qu’elles me butinaient non elles écrivent sur ma peau pour d’autres guêpes qui viendront. C’est vrai je me souviens cela a commencé par une piqûre moins piqûre que d’une guêpe, j’imagine que c’était l’anesthésiant. Et depuis d’autres guêpes sont venues écrire sur ma peau pour d’autres guêpes qui viendront.

323

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Cela avait l’air fou et sauvage. On jetait des paroles en l’air et elles ne retombaient pas. Personne ne savait vraiment ce qui se passait. Noires c’est comme cela, comme des flocons volcaniques, que les paroles sortent des bouches. Elles vont là haut dans les nuées chercher l’humide se condenser, je ne ferai rien pour m’opposer à cette pluie qui arrive. Je compterai la régularité des gouttes et j’en ferai en riant des vers gras et cachés comme ces lombrics qui vous dégoûtent. 

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La météo qu’ils annoncent n’est vraiment pas fameuse
Ils ont vérifié leurs modèles leurs algorithmes leurs paramètres leurs dispositif de capture des données
Ils voient des fleurs écraser la nature, des coquelicots étouffer les cultures, des nuages araser les buildings, des pétales combler les conduites
Les asphaltes seront crevés par des bulbes
Ce n’est pas qu’ils auraient tort c’est que ça ne rend pas heureux
Les gens qui construisent le monde chaque jour à l’image qu’on leur donne n’ont vraiment pas besoin de ça
Prédiction auto réalisatrice c’est un procédé grossier qu’on leur reproche, on parle de supprimer leur poste
Les prévisionnistes s’inquiètent de leur avenir

322

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Des rires d’enfants. Le balancement du grand arbre dans le vent et de l’enfant dans le temps très court de la balançoire accrochée pour toujours à la branche maîtresse du grand arbre.
Le monde nous est donné
Avec subtilité.

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- Les consignes de sécurité ne sont pas les mêmes qu’en avion.
Oui d’accord bien sûr un jour je lâcherai l’instrument à cet instant précis que vous savez bien où tout cela ne pèse rien, je ferai à mon tour semblant de voler un peu avant de toucher terre à pieds joints comme quelqu'un qui se noie. Mais pas maintenant, pas maintenant. Le monde nous est donné trot tôt.

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Avant en arrière
Arrière en avant
Comme on labourera plus tard
Le terroir conjugal

321

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La raison pour laquelle elle a laissé ses mocassins sur la margelle c’est qu’elle voulait qu’on sache qu’elle était là, probablement pas très loin du puits.

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Les pauvres gens vont là où on leur dit d’aller.

320

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Dabek sent qu’il est ze right man. Il se dit que ze right moment viendra tôt ou tard et se pose pour l’attendre en cet endroit d’où aucun projet n’a émergé depuis bientôt dix ans et qui lui semble bien être ze right place. D’ailleurs au bout de quelques jours deux poules sortent d’on ne sait où et se mettent aussitôt à picorer autour de ses pieds.

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Décidément cette deuxième tour résiste mais quand même on le voit bien ça finira par tomber et c’est à cet endroit là à ce moment là qu’il faudra se retrouver, Ground Zero.

319

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Un gant de femme égarée est resté sur le banc. Après avoir raccroché elle avait couru pour empêcher ses larmes de sortir. Elle n’avait jamais su pleurer. A bout de souffle elle s’était assise là. Il regarde vieillir le jour, tomber les feuilles des marronniers. Il attend. Elle aura les yeux rougeâtres et suturés. Les femmes qui ne savent pas rester seules laissent toujours un gant.

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Il s’appelait Nénuphar et non Narcisse. Quelqu’un l’a poussé –toujours comme ça quand on n’est pas seul au bord de l’eau - et au lieu de se faire ogive il a déployé toute son envergure en long et en large, de telle sorte que, Archimède, la surface de l’eau n’est pas un film qu’on traverse, mais un sol où l’on reste. Depuis il attend. Il a parfois une grenouille sur le nez.

318

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Epuisé d’avoir tant suivi les évangélisateurs de la vie debout, Dabek n’a ce matin plus la force de se lever. Puisqu’il existe des positions concurrentielles, se justifie-t-il, il en est forcément d’autres qui ne le sont point. Celle-ci, allongé que je suis, est l'une d'elle. Est-ce ma faute si elle s’avère bien plus adaptée à ma conformation, et si elle permet en outre de bien mieux se couvrir ?

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De même, aiguillonné par les concombres masqués du Pôle Emploi qui tiennent à ce qu’il se remette en route, il considère le magnétisme inverse de la déroute et y adhère instantanément : comme l’on doit le faire de champs vierges et porteurs d’avenir.