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Si j’en crois les morceaux d’ongle, de cartilages, d’allumettes, les cendres de cigarettes et la trace des impacts de gouttes d’eau que je découvre à chaque fois dans ma purée de légumes, mon chinois est fourbe et cruel.

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Maintenant le vrai tour commence, maintenant il a commencé. J’en suis à la fois le peloton et l’échappé, le porteur d’eau et le leader, le niais et le dopé, le reporter et l’organisateur. Ils ont arrêté, et je pédale toujours. Avec cette chaleur succédant aux grosses pluies les spectateurs massés au bord de la route, essentiellement végétaux, sont chaque jour plus nombreux. Ils ne me regardent pas vraiment, ne vocifèrent pas mon paroxysme mais respectent mon sacerdoce, écartant sans avoir l’air d’y toucher leurs racines, libérant pour mes roues un espace où le bitume surchauffé vient me tracer la voie. Seuls les tournesols (sauf quelques rarissimes, merci Darwin) me tournent le dos, ou pire regardent plus loin et plus haut quand ils s’orientent vers moi : ceux là seront brûlés.
Ils ont arrêté, et je pédale toujours.