245

*
La vie la mort sont un peu rudes - l’homme les durcit
La pierre est là
Chaque jour se lève le jour - le barbare le couche
La pierre est là
Les ennemis se mordillent les doigts s’aiment et s’entretuent
Le temps est long le ciel est vide les feuilles tombent
La pierre est là et ne voit pas
Le monde est fort la foule est triste
La pierre est là
Elle est debout elle ne voit pas
Carnac la nuit la pierre est là
Carnac la nuit les yeux fermés garçons et filles
On y danse on y danse
Carnac la nuit la mer est là aussi qui gronde non loin
Les gouttes grosses y font des bouquets de plomb
La pierre est là

*
Je m’intéresse au fleuve, à la barbarie, à la physique atomique du temps, à la nuit. J’aime je le redis ces cathédrales aux ogives très hautes d’où fientent les oiseaux.


244

*
RrRRRRRRRRRRRRRRRRRrrrRRRRRRRRRRRRRRRRRrRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR
RRRRRRrrrrrrrrrrrrrrRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRrRRRRRRRRRRRRRR
RRrrrrrrrRRRRRRRRrrRRRRRRRRRRRRRrRRRRRRRRRRRRRRRrRRRRR
RRRRrrrrRRRRRRrrRRRrrRRRRrRRRRRRrRRRRRrRRRRRRRRR
RRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRrrrrrrRRRRRRR
RRRRRRRRRRRRRRRRRrrrrRRRRRRRRRRRRRR

*
Extrait de « AZERTyUIOP », chapitre 4 (à paraître)

243

*
Antoine sur le port près de son vieux rafiot rafistolé au milieu des yachts immaculés
Antoine se signe à chaque pas
Antoine voit en aura la couleur des êtres
Antoine voit la sienne autour de ses doigts qu’il écarte au bout de ses bras
Antoine a vu en moi un ange
Aux êtres comme moi dit-il Il suffit
De légèrement plisser les yeux
Pour voir ce que d’autres ne voient pas
Je vois la lumière qui s’échappe de ses mains de ses doigts
Et je ne sais pas ce que c’est que cette couleur là
La couleur d’Antoine

*
J’ouvre il n’est plus là

242

*
Refermant trop brusquement cette vieille bible hébraïque dont je croyais les gonds moins huilés, j’expulse les millions de signes qui y reposaient dans un ordre voulu et qui flottent maintenant dans l’air, poussière, poussière retournant à la poussière sans avoir fait grand-chose entre temps.

*
Cela m’allège. J’aime les cathédrales écroulées, oubliées. J’aime ce qu’il en reste et que j’imagine. Je voudrais croire que c’est chaque fois une hêtraie. Je vois des hommes s’y réunir entre les blocs de pierre. Un chuchotis de prières extasiées monte depuis les sombres capuches basses vers les ogives fayardes et s’échappe ensuite plus haut, traduit en oiseau, vers le ciel et un espoir absent. On n’a besoin de rien d’autre.

241

*
En silhouette simple
Elle parle à l’eau de son puits

*
« J’aime bien votre gamberge »

240

*
Thomas a raison : tu devrais cracher, et tu acceptes. Te lever et partir, et tu souris. Te mettre dehors, et c’est l’autre que tu ou qui te. Faire valdinguer le fatras, et tu plies des trombones. Tu devrais être chat et tu hais l’insecte. Thomas a raison tu devrais dessiner dans les marges et tu t’exécutes, tu devrais germer et tu modernises. Tu devrais rester immobile et ne plus rien faire, au bout d’un temps je partirais et tu resterais. Tu devrais le savoir et tu le sais ; mais il ne suffit pas de savoir ni de réfléchir, il faut aussi être prêt.

*
Je ne connais pas ce type qui me tutoie et me harangue en son miroir

239

*
Certains mots n’en ont pas l’air au premier abord, et pourtant ils le sont. Par exemple : laconique.

*
D’autres, l’inverse : ordre ; abus.

238

*
Quand il se sent mal, un quart d’heure trottoir à humer les odeurs d’une rôtisserie à roulettes suffit à le requinquer. Plus l’huile dégouline des peaux qui suintent et se craquèlent, plus il sent sa profonde légèreté intrinsèque remonter à sa surface et croustiller à la face des poulets, et plus il se sent vivant et libre dans son monde sans ergots.

*
D’autres fois il téléphone loin, New York, Sydney, Montevideo, New Delhi, Pekin, toujours aux ambassades, pour sentir combien les secondes sont chères. Il ne parle pas ; l’autre, diplomatique, finit pourtant par raccrocher. Le cœur battant la chamade, il se retrouve alors en dette de temps comme un cycliste au paroxysme se retrouve brusquement décroché dans un col, en dette d’oxygène. Une dette qu’il ne pourra jamais rembourser, jusqu’au moment final où ces secondes là, qu’il vient de vivre pleinement, lui feront définitivement défaut.

237

*
40 ans après le premier pas sur la lune, l’autopsie a confirmé que - ce n'étaient pas des météorites - le danseur-chorégraphe hip hop était criblé de dettes.

*

Il leur trouva un adversaire :
Vaillamment elles luttèrent

236

*
Inconnue, il devine sa silhouette simple, son teint de pluie, ses chevilles.
-Quel effet cela fait-il d’être prise pour une autre ?
A l’autre bout du fil, elle rougit sous le compliment.
Ils raccrochent tout doucement

*
Derrière son gros ceinturon clouté, la fillette prépare la place de l’enfant.

235

*
Il était une fois où les mots
Se mirent très rapidement d’accord
Pour en rester là.

*
Une autre fois fut l’homme
L’homme aux lentes barbaries
Qui avait été l’enfant aux grands cils
L’enfant aux longues nuits pour rêver
L’homme qui essuie le trop d’alcool d’un revers de main aux yeux rouges
L’enfant qui s’émerveille dans la clairière
L’homme qui mord
L’homme qui pénètre
L’homme qui est l’enfant d’une femme
L’enfant qui va trop vite l’enfant qui va trop fort
L’homme qui essaie de rejeter les draps de son lit de mort car déjà il la voit
L’enfant léger de toute la joie du monde
L’homme qui construit la route et barre le chemin
L’homme qui façonne et qui salit les plaines
L’enfant est mort
Une autre fois fut l’homme
Qui riait tristement