594

Le kaki est une représentation de Bouddha.

Six kakis dans un espace vide sont une représentation de Bouddha. 

C’est le zen.

Ne pas s’emparer des choses. Ne pas chercher le derrière des choses. Ce sont peut-être des kakis, peut-être Bouddha.

Le cochon c’est très intelligent, très proche de l’homme, mais très différent. Un cochon ne montrera jamais son derrière à un autre cochon.

Le coproduit de l’homme et du cochon, c’est le boudin. Six boudins dans un espace vide, ce n’est pas le zen. On voit le derrière. Le derrière, c’est l’homme. De tout ce sang qu’ils versent, que font-ils d’autre ?

*

Rien ne vaut guère dans l’homme , sauf les mauvais élèves. Ils ont une tête de cochon, avec rien autour. Ce ne sont pas des moutons. Quand ils croisent les moutons, ils ne voient pas le gigot. C'est très intelligent.

(ppedf)

593

Vivre, c’est s’attacher chaque jour à mourir.

*

Pour confirmer la nullité d’un aphorisme, il suffit d’en mélanger les termes.

- Mourir, c’est s’attacher chaque jour à vivre.

- S’attacher, c’est vivre chaque jour à mourir.

- S’attacher à mourir, c’est vivre chaque jour.

- Chaque jour, s’attacher à c’est mourir

- Chaque attache, c’est mourir au jour et vivre.

..etc.

(mais l’intention, nonobstant, était pure. Et la virgule toujours reste et tient tout)


592

 

Cet été, dans les Pyrénées, j’ai touché un chevreuil avec les yeux. Il m’a fait comprendre avec ses yeux que j’étais en train de toucher un chevreuil avec les yeux. Puis l’un de nous deux, avec une classe aristocratique et un bruit d’arbalète, s’est propulsé dans les sous-bois. Je l’ai toujours en moi, mais je ne sais pas quoi.

*

Tous, nous avons en nous le chevreuil avec les yeux. C’est magnifique, énigmatique.

591

Je vais vous laisser mettre votre masque

Je vais vous laisser vous passer les mains au gel 

 Je vais vous laisser enfiler les sur-chaussures en espèce de gaze bleue que les poissons y vont pas aimer quand ça viendra à eux car les objets tout comme nous suivent leur pente mais se désagrègent moins vite

Je vais vous laisser glisser votre carte vitale sous le plexiglas en un geste économe en gouttelettes

Je vais vous laisser attendre dans le couloir, qu’on vous appelle

....

Je vais vous laisser enlever cette main de mes fesses le docteur c’est cette porte je vais vous laisser la pousser putain quand même c'est bon

 ...

J’aurais bien voulu la laisser me laisser, en quelques sorte la délaisser (de la fesse, d’ailleurs c’était pur réflexe), ou même la délaisser (de la connerie distribuée en mode éjacula-pressoir), ou même la délaisser (de la laisse)

Mais voilà : mal de dents

Alors je l’ai laissée me laisser plein de façons de me laisser : elle est très forte à ça, sinon elle a pas son 1,16 SMIC fin de mois

 

*

Je crois bien que sous la torture, je ne parlerai pas. J’aurai déjà parlé avant, dans les escaliers.

Ils descendent, en général. Je veux dire : pour moi.

590


J’étais ailleurs, dans une ville, avec une forte douleur à un genou. J’hésitais à contacter un psychanalyste, j’ai finalement appelé une ostéopathe parce que j’étais passé par hasard devant sa plaque. Elle m’a demandé où j’étais, je le lui ai dit, elle m’a dit je suis assise sur le banc derrière vous avec un vélo pliant. Je l’ai rejointe, je lui ai expliqué mon problème, et elle le sien : elle n’arrivait pas à plier le vieux vélo récupéré pour son fils dans une benne à ordure. Elle n’avait pas sa table de soins et m’a suggéré d’appeler un de ses collègues. J’ai réussi à plier son vélo, en forçant un peu sur les charnières rouillées, et je suis reparti, en me disant que finalement j’allais solliciter un psychanalyste, car je sais qu'en pays francophone certaines douleurs peuvent être liées à un coup de mou dans le je-nous. Et en effet c’était trop tard, je n’avais absolument plus mal. 

*

(Oublie ton chapeau, coco
Il lui manque un trou de trop)

589

 
Je pose mon plateau repas, bœuf bourguignon braisé, et mon verre de vin.
La table a été mal nettoyée.
Je planterais une balançoire sur mon balcon.
Au sommet de la trajectoire, je lâcherais des mains et des fesses.
J’atterrirais sur votre balcon, devant votre salon.
Pour le retour j’ai prévu mes deux pieds, escaliers, la rue entre nous, escaliers.
Alors ?

*
La dame donna son consentement
C’était avant le confinement

588

Tandis qu’aux confins se marre le pangolin
Débarque sur nos ondes une armée de pingouins
Ils parlent de Chloroquine et ils ubervédrinent
Puis du monde qu’ils ont fait font croire qu’ils s’indignent

Nous sommes confinés, tout nous semble fini
Alors même qu’à nos portes un miracle se produit
Vois les oiseaux qu’éclatent, les bourgeons qui pépient
Et, oh ! la lune elle-même qui coulisse dans la nuit !

Terré dans ton terrier sauf pour sortir ton chien
Flixe tranquille, man : tu ne laisses pas ta place pour rien
Des bêtes de toutes sortes, qu’on avait oubliées
Colonisent nos campagnes et nos villes désertées

C’est là leur chant du cygne, elles le savent très bien
Un dernier tour de piste et ce sera la fin :
Sur les marchés de Chine, où c’est déjà demain
Sur ordre de Xi Jinping s’écaillent les pangolins.

*
Non aux quatrains et vaccins
C’était avant le pangolin

587

Méfiez vous des boîtes de chaussoures
Elles contiennent des histoires d’amour

*
Il en restait dans mon appartement
C’était avant le confinement

586

Un grand chien noir aux yeux rouges et vitreux s’est rué vers moi, a aboyé très fort, puis s’est aplati au sol en grondant et en sortant les crocs. N’ayez pas peur, ais-je dit à son maître, je ne suis pas méchant.

*
Ils sont repartis tout contents
C’était avant le confinement

585

J’allais à la sortie de l’école à l’heure des mamans, je me mettais un peu à l’écart, j’attendais l’inévitable petite fille qui viendrait vers moi sans se rendre compte, j’ouvrais grand mon imperméable et je lui montrais, suspendues aux revers comme des saucisses mises à sécher au dessus de l’âtre, mes valeurs : tempérance, tolérance, vertu, altruisme, respect, humilité, sincérité. Et puis aussi, surtout : bienveillance.



*

Elle se carapatait en hurlant

C’était avant le confinement

584

Ce matin dix février sur mon parcours – alors que dans la nuit j'avais lu Soseki, et que j'étais accroché comme un yoyo à un coureur qui faisait du fractionné – j'ai vu un cerisier en fleurs, et un autre qui timidement s'y risquait. N'est-ce pas un peu tôt pour tout cela ?

*
Ensuite nous avons fait un bout de route ensemble, le coureur en phase récup, le cerisier, et moi qui m'inquiétait pour lui.