397

Nous savons tous les deux
Nous savons que nous savons
Nous ne disons rien
C'est-à-dire
Nous disons tous les mots qu’il faut pour ne pas dire que nous savons
Il suffirait pourtant que l’un de nous deux dise
« Nous savons tous les deux »
Pour que la fin imminente ne vienne pas trop tôt

*
Nous construirons nous habiterons
Une cabane sèche
Dans la nuit humide
Les murs sont des pétales qui se referment
Il fera bon vivre là tout petits

396

Dans la vie, il y a de l’étrangeté
(Avoir un japonais comme voisin du dessus)
Dans la famille, il y a de l’étrangeté
(Dans l’Illinois, une ville s’appelle Normal
J’y suis né des suites d’une partie de ping pong qui a mal tourné)

*
On ne sait jamais
Que c’est la dernière fois

395

Résistance du juste. Résistance cachée, sans espoir.
Face à l'inconnu de la place Tian’anmen, un soldat bien moins célèbre, rendu infiniment vulnérable par la carapace du char et de l'uniforme qu'il porte, résiste aux ordres qui lui sont donnés.
Qu’est-il devenu ?


*
Il faut parfois être marteau pour briser la glace



394

Mon père est mort
Plus je lui parle plus il a froid
Il est dans un hôtel gigantesque
Chambres étroites et corridors froids
Le gravier sur sa tête crisse sous nos pas.

*
Une beauté passe dans les allées
Elle porte un bouquet de fleurs sauvages arrachées au talus
Dont elle secoue la motte
Un chapeau
Et un sac.

*
Le disparu est à sa place
Son histoire s’en va
On ne peut pas bercer une fleur
Qui est passée ailleurs.

393

Toujours il rampe sur le sol, respirant l’herbe et les racines, cherchant à éviter l’ombre abrasive des nuages, réinventant une posture reptile pour franchir un gué ou bien se couvrant de branches épineuses pour se protéger d’oiseaux attirés par la vermine qui pullule dans son dos. Jamais Dabek ne se souvient des journées qui suivent, si bien qu’il n’est pas certain qu’elles existent, que le rêve soit interrompu, que ce soit un rêve. Il ne se souvient que de la reptation et des difficultés nouvelles qu’elle lui pose.

*
Depuis que j’ai opté pour l’immobilité les gens qui vont de l’avant pensent que j’ai changé.



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392

A peine gravé ton nom se comble de poussière et de mousse, parfois une sorte de minuscule salade y pousse comme si c’était, faute de mieux, ta Dernière Volonté.
Sur la pierre tombale j’ai posé des petits morceaux de poteries rapportées des lisières des sables du désert. Un papillon venu des bords de la rivière s’est posé là lui aussi comme si c’était, faute de mieux, ta Dernière Volonté

*
Poids des vivants sur les morts
Sur la pierre tombale
A peine gravé
Ton nom s’efface

391

Les nuages glissent dans le ciel comme des canards - on ne voit pas leurs pieds palmés
Je marche sur un pont de planches vers la mer - grâce à un petit appareil un piano joue en solo pour moi dans mes oreilles
Avec un peu de bonne volonté et un chapeau de feutre à large bord on ne voit pas le ciel - les nuages s’arrêtent dans le ciel ils se mettent à pleuvoir
C’est du simple feutre bouilli les nuages font ce qui pleuvent et les rebords de mon couvre chef gouttent devant les cieux devant les yeux du chef de famille - il faudrait rentrer retourner retrouver la famille poser le feutre dégoulinant au dessus du porte parapluie
Mais non mouillé pour mouillé perdu pour perdu je continue de marcher sur un pont de planches vers la mer - qui est en réalité un lac
On ne voit pas les pieds palmés sous la surface noire du lac on croit que c’est le vent le feutre avance à la surface du lac les nuages dans le miroir du lac s’avancent aussi l’eau est rentrée par-dessous le piano par delà les oreilles.

*
Tu n’iras pas plus loin que l’année nouvelle
- Plus loin, il n’y a rien

390

On n’était plus qu’à 8 Veuparferghols de la nouvelle année, retenus prisonniers dans l’appareil qui devait nous y conduire dont les ailes restaient givrées par manque de Glycol.

*
Ma pauvreté me permet de me déplacer aussi librement qu’une feuille au vent, mais parfois j’aimerais qu’une pierre me tombe dessus et me cloue au sol 

389

Une jeune fille aux bonnes joues vermeilles passe devant moi l’année à vélo comme si c’était une frontière sur un pont et moi un garde en faction. Six beaux faisans vivants, accrochés par les pattes à son porte-bagages, pendouillent en piaillant.

*
Elle est entrée en mon pays intime comme le loup dans le poulailler de l’aube et y dévore tranquillement tout ce qui porte plume.