158

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Pas si grave, cette roue qui tourne, pense Dabek le hamster en ralentissant son rythme comme pour se rassurer. J’arrête quand je veux, simple affaire de volonté et de technique.
Malgré tout il lui arrive de craindre que, s’il s’arrêtait vraiment, les autres roues qu’il sait pourtant engrenées à la sienne continuent à tourner sans lui, comme si les types dedans n’avaient plus besoin de son énergie, accumulant même par leur course libérée de lui un surcroît d’électricité qui lui serait restituée plus tard, par exemple le jour où on lui avancerait cette chaise métallique aux bras si confortables, là, en l’invitant à s’y installer pour se reposer de tous les efforts fournis.

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La menace est très forte mais en réalité la plupart des violences modernes n’atteignent pas l’atome. C’est pourquoi on se fait tout petit et on remue très vite

157

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L’on m’écrit (cf n° 144), je réponds : bien sûr, je le sais bien, que je ne suis pas Proust ! Ce n’est qu’un jeu. Lui et moi, on collabore, c’est tout. Tenez, on voit bien qu’aujourd’hui la littérature a fait de gros progrès, et que l’écriture de Marcel a besoin d’être retaillée, désodorisée, lissée par copier coller, compactée. Eh bien, je saurai faire : n’ais-je pas récemment écrit un magnifique « La bible, mais en plus petit » qui fut édité sur un grain riz et il restait encore plein de place ? Avec lui à la production logorrhéique et moi au poste « modernisation, compactage et adaptation », sûr qu’on aurait exploité cet espace pour y adjoindre un troisième (accompagné de merguez) et un quatrième (avec jésus cuit) testaments, et on aurait servi le tout avec forces moucharabiehs et graines de catleyas. On a raté ce coup là car Marcel ne m’avait pas encore découvert, mais on a d’autres beaux projets !

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Allez, je vous livre notre secret : Marcel et moi on travaille sur « A la recherche du temps raccourci », c’est « Le temps perdu » au format d’un livre de Annie Ernaux, très important pour être au programme des collèges ! Rien que pour vous, ce court extrait en forme de rimes regrettables :
Swann et Albertine
Sont dans un bateau
« Pince-moi », dit la Tine
Marcel tombe à l’eau
Alors, elle est pas belle, la nouvelle littérature ?

156

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« Ce sont toujours les autres qui meurent ». J’avais trouvé ça tout seul mais j’ai appris ensuite que c’est sur celle de Marcel Duchamp. J’ai alors pensé à « tout ce qui n’est pas sécurisé est indéfendable », mais j’ai eu un peu peur que ce ne soit pas bien compris. Alors oui, sur ma tombe ce sera ce petit message découvert ce matin sur un post-it collé à un mémo qui m’était soumis :
« Voilà où j’en suis arrivé, je ne sais pas si c’est bien »

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« Dans notre esprit, nous ne faisons pas de stock »
(Extrait d’une note interne destinée aux nouveaux embauchés)

155

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Chacun a allumé une tige. Ils se sont assis pour tranquillement la fumer. Ils échangeaient quelques mots vides entre les bouffées. La fumée montait très lentement vers les cimaises du théâtre, ça a duré jusqu’aux filtres alors ils ont repris leur rôle et, quelque soit la pièce qu’ils jouaient, à cet instant on est sortis changés de Guantanamo.
.
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Rimes regrettables :
Ils m’ont offert tant de fleurs
J’ai dit que je manquais de vases
Ils m’ont fait cadeau de leur cœur
Je le case au bout de cette phrase

154

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Depuis qu’on s’est parlé, le jour s’est levé

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Sur la nappe de papier du Thabor, j’ai délimité au crayon l’ombre portée du quart de rouge et, l’ayant déplacé, j’ai observé que le dessin ainsi tracé reproduisait très exactement l’ombre portée d’un quart de rouge. Ce constat m’a surpris après un
quart de rouge

153

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Le miroir à débosser n’est pas gondolé comme dans les foires, c’est un miroir plat. On le place sans le lui dire sur le chemin de la bossue qui le découvre à l’improviste, elle se redresse alors instantanément et même se cambre, elle remonte et raffermit ses pommettes et mamelles sans même y toucher et conserve la posture au moins jusqu’au bout de la rue et parfois pour la vie.
Inopinée, une vitrine fait immanquablement office de miroir à débosser.

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Pour l’autre sexe existent les Lolita à débosser, plastique expansive, grands yeux de biche, même impact improviste mais absolument pas plates.

152

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Le monde où nous vivons nous rejette. Le monde où nous vivons ne veut pas de nous. Le monde où nous aimons, où nous voulons être, où nous créons, le monde pour lequel nous sommes. Le monde où nous vivons nous rejette comme si ce n’était pas nous. Ce monde sans nous est mort. Il nous rejette comme une tombe, comment un parent à jamais disparu, et il ne reste plus, dans ce monde qui est mort, que de rester vivant, rester nombreux, seuls, et vivant.

*
« Voilà où mène l’impérialisme », dit depuis longtemps ce slogan qui s’efface sur le fond décrépi d’un local technique, à l’entrée sud de Chateauneuf de Galaure. Depuis qu’il a adopté son parcours d’hiver, l’abîme tranquillisant où le plongeait chaque fois cette déclaration manque à Dabek plus encore que l’effort physique que nécessitait son trajet à sa rencontre à travers la Drôme des collines. La reverra-t-il au printemps ? Aura-t-elle le même effet avant la rude côte qui lui succède ?

151

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- Mais non ! Vous faites erreur ! En rien nous ne somme chiches, ni pois ! Nous ne sommes que des bivalves accrochés à leur rocher qui n’est pas d’agneau, et l’onde qui nous baigne n’est absolument pas un jus de légume, le goût de harissa que vous lui trouvez est tout à fait accidentel, épisodique et évanescent ! Savez vous qu’un arrêté préfectoral interdit actuellement notre consommation, contaminés que nous sommes par un bacille spongiforme ?

*
Bah ! se dit Dabek entendant des voix. Qui donc irait contrôler ce restaurant berbère de Saint Donat l’Herbasse, au plein cœur de la Drôme des collines ?
Et il se met à avaler, de plus en plus vite, de plus en plus loin et s’éloignant toujours, jusqu’à ce que la marée montante du Merdaret mette fin au festin.

150

*
Son fils insiste pour qu’il lui procure un câble sans fil, immédiatement et coûte que coûte… Par cette demande comminatoire tout ce qui reste encore à inventer à produire et à vendre redevient instantanément infini, comme dans le rêve libéral et mortifère dont Dabek, au vu d’évènements récents, croyait bien naïvement le monde capable de sortir.

*
Whisky encore, souvenir d’été toujours :
Mon hamac est figé,
C’est les étoiles qui bougent,
La grande ourse est cachée,
Où donc est Mars la rouge ?

149

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Whisky
Souvenir dé l’été sous l’érable
Tangage du hamac
Regardant filer l’avion rose qui tisse son fil blanc dans le ciel bleu du soir on entend presque, pout pout pout pout pout pout pout, le bruit de tam tam d’un bateau de pêche qui s’éloigne.
Et voila,
Whisky
Voilà que vraiment l’avion se met à saccader par son pot d’échappement,
Lâchant à chaque fois
Pout pout pout pout pout pout pout
Un rond nuage blanc.
« C’est malin ! »
Secoués
Se disent les gens dedans.

*
Je l’ai rendu aphone à la SPA
Je n’avais pas trouvé sa pédale oua-oua

148

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Nous nous cherchions l’un l’autre quand nous étions ensemble.
L’ami m’ayant abandonné, je fis un feu.

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La photo montre deux jambes habillées d’un vieux jean devenu blanc aux cuisses qui portent un mur de grosses pierres sombres solidement cimentées. A partir de mi-cuisses il couvre tout le cadre et, on le sent, bien au-delà. Si l’on fait l’effort de considérer que cette photo n’est pas une photo, alors c’est moi : je découvre ainsi que je suis comme cela lorsque le mur solide et invisible que je porte devient apparent par les miracles de la technique numérique. Je m’étais extrait d’un sommeil très lourd pour repenser à cette photo prise la veille face à un demi miroir de rue, et faire ce constat. Maintenant qu’il est fait je retourne immédiatement au plus profond de ma nuit, et je l’oublie à jamais.

147

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Au procès Dabek a expliqué que les ossements et chairs adolescents étaient déjà splashés sur les murs lorsqu’il est entré dans la salle, que ses élèves à lui auraient écrit « frèche », qu’il n’avait pas intérêt à leur mort qui signifie la fin de sa vacation, etc., etc.
Mais rien n’y a fait.

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Instruit par l’écriteau « peinture fraîche » au dessus du linteau, il avait précautionneusement poussé la poignée de la porte entrouverte en évitant d’en toucher le vantail et le pot s’était renversé, rouge et à l'huile, sur son habit impeccable et son « bonjour ! » replet.

146

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« Schmuck, shmock, shaitel, shalom, shikseh, shlemil, shlepper, shmaltzy, shmuts, shmutter, shnorrer, shtep, shrik, shul, nebbish, mashugga, chutzpah, Schmuck, shmock, shaitel, shalom, shikseh, shlemil, shlepper, shmaltzy, shmuts, shmutter, shnorrer, shtep, shrik, shul, nebbish, mashugga, chutzpah, Schmuck, shmock, shaitel, shalom, shikseh, shlemil, shlepper, shmaltzy, shmuts, shmutter, shnorrer, shtep, shrik, shul, nebbish, mashugga, chutzpah… »
Traduit du yiddish, le bruit de ma machine à laver signifie :
« bite, bite, perruque, paix, fille non juive, idiot, traînard, larmoyant, saleté, loque, mendiant, forniquer, tricherie, synagogue, gringalet, cinglé, culot, bite, bite, perruque, paix, fille non juive, idiot, traînard, larmoyant, saleté, loque, mendiant, forniquer, tricherie, synagogue, gringalet, cinglé, culot, bite, bite, perruque, paix, fille non juive, idiot, traînard, larmoyant, saleté, loque, mendiant, forniquer, tricherie, synagogue, gringalet, cinglé, culot… »

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« Pétales dans l'aube
La rose s’envole
Petits bruits d'ailes "
En japonais, cette miniature est composée de 5 puis 7 puis 5 « mores » qui, prises isolément, signifient… tout autre chose.
(Il faudrait être aussi bon en japonais qu’en yiddish. Il faudrait également savoir écouter les poèmes avec toute l’attention qu’on porte à son linge)

145

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Une blonde qui fredonne « en rouge et noir », pas besoin de regarder les racines ni les hanches : c’est une brune.
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Un poète qui déclame
« En rouge et noir
J’exhiberai ma peur
J’irai plus loin que des montagnes de douleur»
En fracassant la scène de la salle des fêtes de Bougé-Chamballud avec une masse
C’est une "performance"
Et c’est également une brune

144

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Proust, je me lève bien plus facilement (voir n° 140). Mais ensuite aussitôt j’ai envie d’écrire, alors que c’est pour m’envoyer trimer que le réveil rouge a sonné. Alors je me rase les moustaches, j’enfile mon manteau et je sors dans la nuit et le froid pour aller au bureau.
Comme Kafka.

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Elle est confortable et chaude la célèbre pelisse, mais je me retrouve boudiné comme l’Elvis Presley terminal dans l’habit de ses débuts.
Trop petit pour moi, le manteau de Proust ! ?
Et que je te saute, et que je te danse, et que je te pousse des cris rock’n roll dans le matin…

143

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Egrenés de proche en proche le long de mon parcours vélocipédique sur cette départementale bordée de platanes multirécidivistes, les figurines noires de la Direction Départementale de l’Equipement ont, en ce dimanche des morts, fait l’objet de l’offrande exorciste d’autant de pots de chrysanthèmes aux couleurs vives.
Classée « rouge » (la lutte continuant ainsi par d’autres moyens suite à la fin de la grève de Météo France) comme l’éclair qui zèbre le cœur ébène des mannequins, la journée du lendemain a, par ses tornades et déluges locaux, dépoté (« plop », « plop », « plop ») puis abasourdi de gouttes grosses les hommages fleuris aux sacrifiés de la route. Et il a fallu toute mon attention d’écrivant cycliste pour, à partir de tiges et pétales épars dans les fossés et des quelques poteries épargnées par la rapine, reconstituer l’épisode et en éditer ici même le seul témoignage connu.

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Elle raccroche au moment où j’appelle
Je sens que je suis moche et elle sait qu’elle est belle.

142

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Seuls dans l’ascenseur. Elle me regarde, elle m’a regardé. Très peu de temps. Coïncidence on montait tous les deux au neuvième, on découvre qu’on a rendez-vous dans le même bureau je crois qu’elle s’en doutait un peu. Plus tard elle m’écrit que mon profil n’est pas en cause.

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Mon caractère un peu gauche
A dissuadé l’embauche