379

Il manque le godet ! Constat désappointé entendu cent fois ce jour là, et l’homme reposait tristement l’excavatrice et reprenait son chemin dans les travées d’un pas alourdi. Il manque le godet ! Et combien de fois n’a-t-il pas été soulevé, ce couvercle de boite de chaussures Adidas, dans l’espoir d’y découvrir tout autre chose (mais quoi donc ?) que les quelques Clippos qui s’y trouvaient ?

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Contrairement à la veille au salon du livre de Romans, et grâce aux Barbies, les ventes à la brocante du sou des écoles ont été suffisantes pour financer l’andouillette frite arrosée de vin blanc. Cela m’a paru très satisfaisant, mais aujourd’hui, deux jours plus tard, je m’en rends compte vraiment et pour longtemps : il manque le godet !

378

Il  préparait une tentative de record de vitesse à vélo, record officieusement détenu par Al Abbott, un américain, à 223.466 km/h. Le vélo possédait un gigantesque plateau lui permettant un développement de 27 m. La voiture, une Porsche 935 Turbo, était conduite par Pescarolo. L'arrière étrange était destiné à abriter le cycliste ainsi qu'à créer un effet d'aspiration. A l'époque, les souffleries n'étant pas disponibles, Dabek s'entraînait à supporter les turbulences aériennes en se tenant au plus près des voies de chemins de fer lorsque passaient les trains rapides. C'est par l'un d'eux qu'il a été happé, en gare d'Auxerre, il est mort sur le coup, avant d'avoir pu faire sa tentative.

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Je rappelle un nouvelle fois le principe de la selle Proust : le bec de selle est supprimé de manière à éliminer toute pression sur la zone du périnée et sur les testicules ; l'appui se fait sur les ischions; la selle pivote pour accompagner le mouvement des jambes. D'une manière générale je dirais que c'est au feeling qu'il faut se poser dessus. Il faut écouter son corps au lieu de trop faire confiance au centimètre.

[poèmes plagiaires n°223 et 130, inspirés par « Lepassionné » et Damien Ruiz]

377

Rythme sourd
De l'amour
Sous les draps :
Moi, moi, moi, moi, moi

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Demain
Au premier soleil
Un wagon de moins
Au train train

376

(Sans titre)
Les sans nom sans bouées sans même savoir nager coulent sans remous
Les sans abris sans le sou s’enivrent sans joie
Les sans papiers aux sangs impurs gâchent notre ciment
Les cent familles s’emparent et les sangsues s’empiffrent
Les sans loi contre les sans droit
Les cent lois contre les sans droits
Les cent façons de faire mal sans lever le petit doigt
Laissant la police faire son travail
Les cent jours sans lendemain
Les cent jours sans voir le jour
Les sanglots sans larmes
Les sans ciel
C’est l’autre

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Dabek se souvient de ses jeunes années d’après l’adolescence. Il préférait de loin le moment du partage à celui du cambriolage.

375

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Après Freud, Picasso. Les « grands » hommes du début du vingtième ont la vie dure ces temps-ci. Mais qui d’autre que lui a su peindre des stukas en piqué et stridents sous la forme d’un cheval effrayé hennissant vers notre gauche ?

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Je repense au plus tardif Andy Warhol, que je n’ai pourtant pas personnellement connu. Suicide. Parvenu au faîte de la puissance et de la gloire, il n’y avait plus personne d’autre que lui pour oser lui faire ça.
Le grand homme est celui qui déboulonne sa statue de son vivant.
(Andy est en réalité mort des suites d’une opération, me dit-on. Ah !)

374

J’écrase mon mégot sur la peau du miroir, il s’enfonce dans mon reflet en se tordant à peine. Je ne sens pas la douleur mais l’odeur de chair grillée, je regarde la fumée noire qui se forme et s'élève, j’attends qu'elle sorte du cadre pour soulager la pression et aller me soigner. Je n’ai pas mal. Je n’ai rien dit, rien montré, rien lâché, et cependant j’ai honte. Du doigt je tapote la brûlure, tap tap, tap tap, comme ça, puis je retourne dans la grande pièce, je sors le miroir, je l’allonge sur la terrasse sous les doigts de la pluie, bruit patient dans l’après-midi, tap tap, tap tap sur cette aire martyrisée où il y a encore un instant (je me suis maintenant allongé à ses côtés sous une couverture de survie où viennent déjà chuchoter des limaces) je me trouvais aussi.

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Bien qu’écrites de ma main, les lettres que je retrouve dans ma boîte au retour de mes itinérances ne sont que de trop longues suites de mots insensés.

373

En ce lendemain de Toussaint (où elle a tenu à nous servir une « boite chaude » !), elle récupère au cimetière les fleurs artificielles qu’elle avait déposées la veille et qu’elle stockera au grenier jusqu’à l’an prochain, si tout va bien.

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Panique de la disparition d’un être. Comment va-t-il faire sans moi, dans l’au-delà ? Comment je vais faire ici, sans lui ? L’horreur du monde semble accessoire face à cette douleur là.

372

Barbelés, aller dans le pré d’à côté. Je passe par-dessous en rampant, je me redresse. Cri bref d’un oiseau qui donne le tus. Un souffle de vent vient me renifler comme en passant. Quelques feuilles, drones subtils, tombent dans ma zone en tournoyant comme des turluttes. Un rapace ostensible se laisse aller de son perchoir sur le toboggan de l’air, ample geste du revers de la main sur le linge fraîchement repassé.  Quelques pas. La lumière a changé. Je suis dans un autre espace, ouvert et séparé, de l’autre côté des barbelés. 


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Idée saugrenue, citadine, la nature nous ferait des signes.