204

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Les dégâts que tu me feras
M’attirent vers toi

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A force d’empiler des miniatures comme d’autres accumulent des heures d’intérim, j’espérais toucher les Assedic. Le contact finalement eut lieu et fut fort désagréable, genre : plombage contre aluminium. Nous nous écartâmes derechef et d’un commun accord tacite. Chacun garde cependant aujourd’hui encore une dent contre l’autre.

203

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Tout le monde serait marinier et porterait la casquette bleue à visière. Le monde avancerait à la vitesse de percheron d’une péniche. Il y aurait des écluses où l’on boirait un canon le temps de passer. Amont, aval, ça ne changerait pratiquement rien, on se ferait dépasser par en dessous par des poissons longs. Pour aller vite parfois il y aurait une bicyclette sur le roof, à l’arrière. Les lois d’Einstein n’auraient aucun sens. Lui-même aurait lancé cette mode de la casquette bleue à visière et penserait, et dirait partout dans les livres, que la vitesse c’est l’équilibre d’une péniche halée qui glisse sans bruit sur un canal.

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Les impasses sont rares il y en a très peu
Des gens y vivent ils sont généreux
Au sens où : ils savent recevoir
Cherchant une impasse convenable Dabek n’en trouve pas
Mais il cherche et il trouvera

202

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Au premier essai nucléaire de la nouvelle ère la table du salon s’est mise à gigoter au point que la boîte à boutons est tombée. Son contenu s’est éparpillé sur le sol. Les boutons sont des souvenirs percés de deux ou quatre trous, on y redécouvre le passé comme au travers d’une serrure. Sur le sol de l’autre côté de la porte sont des dizaines de souvenirs de nacre, de métal, de cuir, de corne, d’os, de plastique, qui rattachent à un vêtement, à un être, à un age révolu. Bien entendu j’étais en culottes courtes, avec cet espèce de pull gris au col en V sur ma chemisette rose et blanche. Les lattes du parquet étaient si disjointes que certains boutons y coinçaient leurs tranches et restaient dressés, j’y voyais les roues orphelines des véhicules ennemis atomisés par l’explosion. A la fin je ramassais les boutons et les rangeais dans la boîte, je la remettais sur la table, et préparais avec mon commandement de plomb l’essai suivant de la nouvelle ère.

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Egalement, je passais un aimant au dessus des failles séparant les lattes pour récupérer les aiguilles (et les fils parfois passés dans leurs chas) qui s’y étaient terrées, dont je me servais ensuite pour curer la matière noire qui s’était accumulée depuis la dernière fois, le temps.

201

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Ses parents ont voulu fuir leur pays, l’Allemagne, et pour cette simple raison se sont fait arrêter, puis déporter. Plus tard juste après guerre il est venu en France enseigner sa langue. Jamais ce village ardennais n’a accepté sa présence. Il complète désormais sa retraite dans notre école de la Drôme, quelques heures de cours par mois. Il parle d’une voix très douce, très douce en Français et surtout en Allemand.

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Malgré tout, je le hais.

200

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La foule ni ne sera en colère, ni joyeuse ni triste, ni désespérée ni orgiaque, ni bloc de matière humaine ni moirée, ni ne sera grondeuse, ni colorée ni ondoyante, ni innombrable ni aux foulards… La foule sera belle.

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Sur les côtés des monstres se souriront
Avant de s’accoupler.

199

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Il
Suffit d’un mot
Pour
De chaque côté
Créer les marges où
Tout le monde peut
Rêver

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Par leurs moyens d’arbre les arbres, au lieu de m’accueillir avec bienveillance comme à leur habitude, ont cette fois manifesté à mon endroit un je ne sais quoi de tendrement ironique. J’ai cherché ce qui n’allait pas dans ma mise, je n’ai rien trouvé de plus extraordinaire qu’à l’ordinaire. J’ai poursuivi mon chemin. Et plus j’avançais plus se manifestaient ces petits gloussements que je n’entendais pas, mais qui m’agaçaient au plus haut point. « Mais qu’est ce que j’ai donc ? », ais-je demandé à ma compagne du jour, et aussitôt j’ai compris : je m’étais intimement – mais les arbres savent tout- juré de ne jamais emmener personne en ce lieu…

198

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D’enlever ce qui dépasse
Jamais on ne se lasse

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Au royaume des cyclopes, les hôtels sont borgnes.

197

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Alors que mon cerveau s’exprime avec de plus en plus de charité, les marioles qui s’écharpent de mes lièvres sont de pluie en glu remplis d’approches limaçon, de malachites, de scolies et de digestions qui me rendent aigrelet à ce monde que je percute pourtant de père en fils…

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Long tarin, je me suis mouché ramoneur.

196

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Dabek constate cette fois encore avec effroi, comme chaque fois qu’il s’attelle à la rédaction de son mémoire sur les nouvelles tendances du marketing des biens et services financiers, que ce qu’il émet alors est de la pure et simple poésie. Cela lui fait penser à Kafka, à Grégoire Samsa. « Cependant en général les blattes se déplacent en courant sur le substrat », lit-il un peu plus tard dans Wikipedia, et cela aussi est de la poésie. Bon, il ne bougera plus, il ne se déplacera plus. Sa main, sa main surtout, ne courra plus sur le papier, il le faudrait, il le faudra.

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En ville, il roule dans des voitures anglaises pour pouvoir à l'envi cracher sur les cyclistes qu'il double.

195

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Chaque jour j’embrasse le monde douze fois. Ensuite c’est le soir et on se sent bien lui et moi. On se couche alors jusqu’au lendemain, chacun de son côté. On dort bien.


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« Je vais aller à Waterloo en taxi. En revenant je m’arrêterai à Trafalgar »

194

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Orphelin d’Eluard.
L’entreprise Clean’Up a emporté à la benne le carton où je stockais mon livre sous des papiers divers, vieille édition de poche achetée 0,5 € sur une brocante qui ne me quittait plus depuis six mois. Il y avait aussi quelques notes sur Bove, malaise d’écrire, malaise à vivre, malaise à le lire.

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Le deuil, c’est apprendre à vivre avec la présence de l'absent.

193

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On le bourre il ne bouge plus
Obligé d’enjamber pour aller travailler
En route j’appelle le SAMU
A quoi bon quand je repasse
Un autre a pris sa place
Surtout ne pas s'énerver
Respecter ce qui vit dans la rue

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Regardez toute cette belle nature, c’est tellement joli que Dieu existe.

192

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Quelqu'un a suspendu son casque sur la croix de bois
Et ce casque après tant d'années
Au sommet du Hohneck
Au dessus de sa tombe
Est resté


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Eh !
Eh ! Les gars !
Pendant que vous trimiez
Pendant que vous suiez
Pendant que vous courbiez l’échine
Ahaniez, stressiez, creusiez des ulcères variqueux
Pendant que vous conceviez vendiez fabriquiez financiez
Pendant que vous négociiez obteniez trichiez contractualisiez
Pendant que vous livriez organisiez et même ordonnanciez
Pendant que vous embauchiez licenciez coachiez évaluiez à 360°
Que vous boutiez annuliez innoviez administriez pilotiez manœuvriez élaboriez
Pendant que vous analysiez décidiez outplaciez redéployiez délocalisiez vendiez,
Le vrai travail
Eh ! les gars !
Le vrai travail,
Pendant tout ce temps là,
C’est moi qui le faisais.

191

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Je me regarde agir. C’est extraordinairement impressionnant. Tout cela serait-il possible sans les œuvres de mon imagination ?

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De deux choses lune est un fromage, disait Prévert comme une orange.

190

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Il meurt.
C’est fini.
Il est mort.
C’est malin.
Et moi.
Je fais quoi.
Maintenant.

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« Tu ne seras plus mort, mais tu seras berger »

189

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- Quoi ? Encore une banane ? T’en es à combien par jour ?
- Je descends du singe, répond Dabek.
- Ah ! Alors, dans ce cas….

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Dabek est descendu du singe il y a cinquante ans et un jour, cent ans après l’Origine des Espèces. Il a payé, a claqué doucement la portière, a pris son bagage et, tandis que le singe – une des toutes premières DS – continuait en arrière-plan sa course pneumatique, s’est avancé sans se retourner jamais vers le troisième millénaire où l’attendait l’épisode qui précède.