180

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« J’ai encore mon père, j’ai encore ma mère, j’ai suffisamment pleuré quand mes grands-parents sont morts »

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On s’attend tellement à être contredit que c'est ce que l'on vit quand j’opine.

179

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Le ciel s’est élargi, les foules y sont montées. En revenant les gens disaient j’ai fait le paradis c’est super, on a même pu discuter avec Saint Pierre, je crois bien que cette barbe c’était un bout du bon Dieu, j’avais mon Baedeker et ma bible mais pas besoin les guides étaient nickel, tout vachement bien organisé buffet à volonté, le bout du bon Dieu c’est comme Dieu tout entier, c’était impec mais c’était long, dix huit heures de vol escale à Kuala Lampur, depuis le tsunami et les aides les hôtesses ne sont plus ce qu’elles étaient l’argent pourri tout, buffet à volonté mais pas la qualité, le pain et le vin surtout, le pain sans levain enfin bref turista on est revenus épuisés j’ai fait le paradis mais tu vois si c’était à refaire j’y réfléchirais à deux fois.

*
J’ai connu Goethe, mais ni lui ni moi n’en gardons le moindre souvenir. Rilke, par contre, toute autre chose. Tout le monde sait la lettre qu’il m’a écrite. Eh bien sachez le : je l’ai lue, et je fourbis ma réponse.

178


*
Je me suis approché de sa tombe et le mort
Le tout jeune mort
Mon ami le mort
Le tout frais émoulu
M’a foutu un coup d’épaule et j
e l’ai rejoint.
Depuis on ne quittera plus
C’est un peu étroit du caveau mais c’est
Très large
Ici
Bas.

*
La vie couchée de l’infini () serait sans soucis s’il ne craignait pas tant qu’un jour le 9 ne perde lui aussi son précaire équilibre, son encore plus précaire équilibre.

177

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Revenant de l’Echaillon et d’une échappée belle dans les combes où la neige de décembre s’est duvetée ces jours derniers de trois centimètres de poudreuse pour libérer ma glisse et même mon envol, je rattrape en Madshus fartés les bolides du Rallye de Monte-Carlo scotchés au bitume par leurs pneus de vingt pouces et leur puissance turbocompressée. Et, tout en glisse je déboîte, en glisse je dépasse, je me rabats et accélère, tout en glisse je les dépose, sans un bruit.

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A la fin de la soirée qui suivit, mon alliance entourait un bouchon de Gewürtztraminer et ne le lâchait plus d’un pouce.

176

La mode, cette année, est aux rayures horizontales.
Ca tombe bien, HTML sait faire.
Et cette miniature,
– quoique multicolore comme également il convient en cette année 2009 –
Est parfaitement dans le ton
(Quand au col de la chemise qui dépasse du pull, désolé, HTML ne sait pas faire)

*
Imaginons maintenant la mode de l’an prochain, et disons-le tout net : pour moi, quelle qu’elle soit, ce sera le noir, et horizontal.

175

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Un Objet est une monade. Une monade est un en soi. Un en soi a ceci de caractéristique qu’il ne saurait se mélanger avec un autre en soi. Les en soi cohabitent, échangent, entrent en relation, sans que ce qui survient à un en soi ne change en quoi que ce soit un autre en soi.
En informatique, c’est très important de raisonner Objet. Malheureusement c’est mal compris, mal enseigné, de telle sorte qu’on ne fabrique que des empilages d’en soi impurs, de ni monades, d’hybrides…. Ainsi, quelle qu’elle soit, cette putain d’appli ne marche jamais droit comme font les oies ou les monades quand elles migrent.

*
Il y a dans ce qui précède de quoi apporter le paradis sur terre aux innombrables victimes d’analyses mal menées. Malheureusement cela enlèverait une bonne part de leur pouvoir aux hommes d’église de la déesse i. Donc n’attendons rien.

174


*
Il y a un instant c’était l’heure bleue.
Puis une mésange
Puis les mésanges
Puis les sangliers et autres bêtes de la nuit
Ont chanté / se sont enfoncés dans la futaie
Puis les collines doucement dans l’aube chaude
Se sont levées
Puis derrière elles
Là-bas où personne n’est jamais vraiment allé
C'est-à-dire : pas moi
Viendra la lumière du jour
Profitons-en
Tout à l’heure on verra les détails de tout ça
Mes roues chuintent
Je roule dans la nuit vers cet endroit là-bas où personne n’est jamais vraiment allé
C'est-à-dire : j’y vais.

*
Mes roues je les vois à peine
La route par endroit est là à coup sûr
Le vent posé partout ne s’est pas encore levé
Tout à l’heure on dormait accrochés l’un à l’autre
Les douze mots qu’elle a mis dans ma besace je les dirai aux gens de là-bas
S’il y en a
Pas un de plus
Elle n’a mis

173

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Les poupées russes sont sorties de leur gigogne et s’avancent humblement vers lui, Averell en premier et Joe loin derrière comme si les Dalton étaient dix-huit, femmes, et en bois creux et peint.
Nous sommes très pauvres, dit Averell en lui tendant un œuf dur et un énorme cornichon. Aidez nous à entrer en France.
- Vous n’êtes pas vraiment russes. Trop belles. Ukrainiennes ?
Oui, répond fièrement Averell.
- Excellent, cet œuf. Je ne peux rien pour vous. Moi-même j’ai dû quitter la France, il n’y a plus de travail, je suis venu ici pour chercher du travail.
Alors, vous êtes des nôtres ?
- En quelque sorte, répond Lucky-luke.

*
Et il se met à pleurer sur tout ce qui était, n’est plus, et ne sera plus jamais, et aussi parce qu’il vient de mordre à pleines dents dans le cornichon.

172

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Il y a quelques jours encore toutes les choses se faisaient sans moi, autour de moi, à travers (en transparence) de moi… Maintenant c’est pareil, sauf que parfois, souvent même, j’ai le sentiment d’influer. Et les gens qui m'entourent semblent carrément me voir comme cela : utile. Année nouvelle.

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Comment croire que toute maladie soit psychosomatique, alors que nous voyons autour de nous (et même à l’intérieur de nous) tant de gens bien portants ?

171

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« Y’a qu’une chose, c’est qu’y faut pas oublier qu’on oublie : heureusement qu’ y a un mausolée, au 5-7 ! »
(Un parent d’une victime du drame du 5-7, 146 morts en 1970. Les propriétaires avaient aménagé un bar-restaurant-dancing dans un vaste hangar qu'ils avaient, en grande partie, construit eux-mêmes. Le feu a pris. Les sorties de secours avaient été condamnées pour éviter la fraude)

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171 est un nombre premier, il est pourtant divisible par 57. De même, à bien y regarder, ce sont les stalagmites qui tombent et les stalactites qui montent. Ajoutons que, bien que n’étant ni sado ni maso je ne rechigne pas, lorsque je croise une jeune femme levée de la croupe attachée nue à un radiateur, à la fouetter vivement ou à la rejoindre en sa posture. On n’oubliera donc pas que plus rien n’est premier ni certain, pas même le plus, ni le rien, ni le certain, ni le premier.

170

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« Adieu tristesse
Bonjour tristesse
Tu es inscrite dans les lignes du plafond
Tu es inscrite dans les yeux que j’aime
Tu n’es pas tout à fait la misère
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire
Bonjour tristesse »

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Je me suis demandé longtemps comment Françoise Sagan avait trouvé le titre magnifique de son premier roman, « Bonjour tristesse ». Paul Eluard était mort deux ans auparavant.

169

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Les filles ont les bras nus
Les filles ont les bras charnus
Les filles ont les bas qui grésillent dans le noir de la nuit.
Lumière lointaine d’un néon qui clignote avec un bruit de biscotte
Des caresses en silence délivrent les soupirs des filles aux bras nus
Délivrent les cuisses des filles charnues de leurs bas qui résillent
Dans le noir de la nuit.

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Tu m’ennuies
Je te quitte
Cela t’amuse
Je reviens

168

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Les meilleures musiques, c’est celles qui font aimer un genre qu’on n’aime pas
-Un jour ?
Non, un genre
-Un jour ?
Oui, tu as raison… Un jour.

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J’écoute Caravan.
Vieille cassette.
1978.
« Rock progressif ».
Pas écouté depuis quinze ans au moins : c’était hier.
Très beau. Energie simple, sans excès de watts. Excellents musiciens.
« This requires a certain amount of audience participation… In the middle”, dit le chanteur au public avec son superbe accent du Kent. Je me retrouve trente ans avant, in the middle, à Canterbury, debout sur l’avant scène en train de me cramer les doigts sur mon briquet allumé comme si c’était un portable.
Je n’y étais pas, pourtant, ce jour là.
Je m’y retrouve.

167

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L’édredon lourd et rose ne me réchauffait pas. Le soleil blanc d’hiver venait verser sa chaleur de blonde sur le dos rond de l’édredon rose mais ne me réchauffait pas. Sous le drap sous mes pieds la brique chaude enveloppée de papier journal ne me réchauffait pas, même si j’imaginais que le journal c’était « L’Ardennais » de mon enfance chez la grand-mère.
La nostalgie ne me réchauffait pas. J’étais à la glace, je dormais tout le jour, l’érable par la fenêtre ne me réchauffait pas.
Frrrrt si j’avais bougé le rouge gorge sur l’appui de fenêtre se serait envolé mais j’avais trop froid pour bouger je crois qu’il est resté. Ainsi passaient les jours, c’est comme ça que forcément arriverait l’année 2009 où il faudrait bien que je me lève.

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Ainsi fut fait.