L’instrument est immense et teuton, la musique à la page et
de Glass, la pianiste apprêtée et japonaise. Porcelaine délicate et rigide -
sauf les doigts et un léger balancement du buste- elle semble au bout de quelques mesures s’être
glissée à l’intérieur même du piano confiant et sûr de sa propre force qui fend
paisiblement la partition, tout cela va nous amener à bon port, Dabek zoome sur
les talons aiguilles plantés dans le plancher précieux et qui équilibrent l’ensemble
par le jeu savant des pédales, encore quelques mesures comme cela, on avait
fait dans le plus grand confort plus de la moitié du parcours, elle a ôté ses
bottines et libéré ses cheveux, elle semble désormais plus grande et
impérieuse, par le nylon qui caresse les pédales et les doigts laqués qui
éperonnent les blanches et électrisent les noires elle insuffle directement une
ardeur nouvelle, subite et implacable, au cœur même de l’instrument qui s’est
d’abord mis à trembler, puis à se tordre, à gémir, à fouetter l’espace de son
grand capot désormais à moitié dégondé et ses ridicules petites roulettes ne
contrôlent plus rien, l’engin a perdu
toute mesure et rue et émet à même les nerfs à nu de ses cordes du Hendrix sur-amplifié
et tout va péter mais heureusement les systèmes de sécurité se sont mis en
branle avec une efficacité qui rend honneur à notre grande nation, deux agents
du GIGN surgis de la fosse ont plaqué au sol puis ensaché-escamoté la
terroriste, une escouade descendue en rappel des cimaises est parvenue au lasso
puis en lui coupant les tendons à contrôler le piano devenu fou tandis qu’une
voix paisible et navrée s’excusait déjà de l’incident et indiquait la manière
de se faire rembourser.
*
J’écoutais les lieds de Schubert (Cheryl Studer, Irwin
Cage). J’ai dû bifurquer. Je vends une paire d’armes létales pointure 34
hauteur des talons 18 cm, peu portées, trouvées sur le théâtre des opérations,
très recherchées par les connaisseurs assermentés. Faire offre.